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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

pourtant pas le retour aux affaires de George Grenville, et ce fut sans aucune condition qu’il promit le concours de cet ancien ministre ; mais au prix de cette concession, il se crut en droit de demander l’admission, dans le nouveau cabinet, de plusieurs de ses amis. Pitt avait de tout autres vues ; il voulait fonder l’administration qu’il allait diriger sur une coalition de tous les partis, à l’exclusion de George Grenville et du duc de Newcastle, objets en ce moment de son aversion particulière ; il voulait, d’accord en cela avec le roi, faire entrer dans cette administration un assez grand nombre de membres du ministère précédent. Ce plan n’était pas compatible avec celui de lord Temple, qui, voyant successivement repousser tous ses candidats, déclara qu’il ne lui était pas possible d’accepter à de pareilles conditions la responsabilité du pouvoir, que, lorsqu’on l’y avait appelé avec Pitt, il avait cru y être admis sur un pied d’égalité, et que, puisqu’il n’en était pas ainsi, il ne lui restait qu’à se retirer.

La rupture fut complète. Pitt fit assez peu d’efforts pour la prévenir. Peut-être n’en fut-il pas très contrarié, peut-être l’éloignement d’un homme trop considérable pour qu’il n’eût pas à compter avec lui lui parut-il un évènement heureux. Ce qui est certain, c’est qu’il ne sembla pas comprendre d’abord ce qu’il perdait en se séparant d’un tel auxiliaire. Toutefois, l’illusion ne dut pas être de longue durée. Il se trouvait maintenant presque entièrement isolé de cette brillante phalange avec laquelle il était entré trente ans auparavant dans la carrière parlementaire, et dont un seul membre, James Grenville, restait encore lié avec lui. Jusqu’à cette époque, réservant pour les affaires et pour les luttes de tribune ses puissantes facultés, c’était sur lord Temple qu’il avait pris l’habitude de se reposer du soin de négocier avec les individus, de ménager les transactions, de préparer les coalitions et les rapprochemens, si fréquens à cette époque. Privé tout à coup d’un aussi utile collaborateur, il dut se charger lui-même de cette tâche si délicate et si difficile en elle-même, plus difficile encore pour un esprit altier comme le sien, que des souffrances presque continuelles rendaient de jour en jour plus impatient de toute contradiction.

Je crois devoir avertir que les détails dans lesquels je vais entrer sur la suite des négociations engagées pour la formation d’un nouveau ministère ont été puisés dans les versions répandues par les hommes avec lesquels Pitt était alors en opposition. On est donc fondé à n’accepter qu’avec une certaine réserve l’exactitude, sinon des faits en eux-mêmes, au moins du point de vue sous lequel ils sont présentés, et de la pensée, des intentions attribuées aux divers acteurs. Cepen-