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George Grenville. C’était ainsi, d’ailleurs, qu’on s’expliquait sa rupture avec lord Temple, plus fidèle, disait-on, à ses principes et à son parti ; c’était ainsi qu’on s’expliquait l’acceptation d’une pairie qui devait le soustraire à l’embarras de renier ses antécédens et de répondre aux reproches d’apostasie dans la chambre même où il avait toujours siégé. Ces accusations, développées dans une multitude de journaux et de pamphlets dont les plus mordans émanaient d’un homme illustre depuis, de Burke, qui venait alors de commencer sa carrière comme secrétaire du marquis de Rockingham, produisirent un grand effet. Elles portèrent une telle atteinte à la popularité de lord Chatham, que le conseil de la Cité, animé jusqu’alors pour lui d’un dévouement presque fanatique, rejeta à plusieurs reprises la proposition de le féliciter sur son retour au pouvoir. Sans admettre ce qu’il y avait d’injuste et d’exagéré dans ces inculpations, on doit reconnaître qu’il s’était opéré un rapprochement assez remarquable entre la politique personnelle du roi, constamment dirigée vers la destruction de l’oligarchie des grandes familles whigs, et celle de lord Chatham, mécontent alors d’une partie de ces familles et naturellement porté à désirer l’abaissement d’influences qui ne lui apparaissaient plus que comme de fâcheux obstacles. Ce rapprochement ressort d’une manière bien évidente des termes mêmes de la lettre que le roi écrivit au nouveau lord pour l’inviter à venir recevoir de ses mains le sceau privé, dont la garde lui était confiée : « Je sais, y était-il dit, que le comte de Chatham m’aidera de toutes ses forces à éteindre les distinctions de partis et à rétablir cette subordination envers le gouvernement, qui peut seule préserver la liberté, ce bien inestimable, du danger de dégénérer en licence. »

Cependant lord Chatham, poursuivi par le glorieux souvenir de son premier ministère, crut pouvoir échapper au malaise de ces contentions domestiques en ouvrant de nouveau à l’Angleterre la carrière de la politique extérieure. Il fit proposer au grand Frédéric, qui lui avait toujours témoigné autant de sympathie que d’admiration, de travailler conjointement à former une confédération du nord, dans laquelle l’Angleterre, la Prusse, la Russie et les autres puissances qu’elles pourraient y engager s’uniraient pour balancer l’alliance des souverains de la maison de Bourbon. Frédéric, mécontent du cabinet de Londres, à qui il ne pouvait pardonner de l’avoir abandonné à la fin de la guerre de sept ans, reçut cette proposition avec une extrême froideur, et profita de l’occasion qu’on lui offrait pour rappeler ses griefs. Il ne dissimula pas, d’ailleurs, qu’il lui paraissait bien difficile