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rafraîchissemens. La plus âgée de ces charmantes créatures n’avait pas vingt ans ; elles étaient vêtues d’une robe étroite en soie rayée d’or et lacée sur le devant de la gorge ; par-dessus cette tunique, une pelisse à manches larges relevées jusqu’au coude descendait près des hanches ; leurs longs cheveux noirs tombaient en tresses semées de paillettes d’or, et leurs pieds blancs tout nus étaient chaussés de patins en bois à talons élevés.

Quand la plus jeune de ces gracieuses fées vint à moi et pencha son corps svelte pour me présenter le plateau, je restai la cuiller entre les lèvres, troublé devant ce frais visage de Rachel qui faisait rêver à tous les amours de la Bible. La jolie juive devint alors rouge comme une grenade, elle sourit et me laissa voir de petites dents blanches ; ses yeux noirs veloutés, bordés de grands cils, lancèrent comme une flamme. Voyant enfin que je ne bougeais pas, la belle enfant rejeta la tête de côté, et prononça tout haut quelques mots dans une langue étrangère. Le vieillard, les femmes, tout Israël enfin partit d’un éclat de rire, je faillis m’étrangler ; mais en replaçant la cuiller sur le plateau, j’interrogeai en dessous le regard qui m’avait charmé : ce regard était sans colère, on n’y lisait que la chasteté et l’innocence. Les fils du marchand nous servirent ensuite le café et de longues pipes de bois de cerisier et de jasmin à bouts d’ambre ; les filles restèrent sous la vigne près de leur mère ; les hommes, vis-à-vis de nous, entouraient le père de famille.

Pendant que la conversation continuait par l’intermédiaire de M. Gandon, M. Drovetti me donna des détails sur les Juifs, ces parias de l’Orient qui sont encore réduits à l’état d’abjection dans lequel nous les représentent les légendes de l’antique société chrétienne. Les Juifs sont en grand nombre à Rhodes, où, comme dans toutes les villes turques, ils habitent un quartier séparé dont ils ne peuvent franchir l’enceinte après le coucher du soleil ; tous sont marchands et font des affaires avec une avidité insatiable, depuis l’armateur de navires et le maître de cent chameaux jusqu’au vendeur de parfums avariés. Ils vont et viennent dans les campagnes, sur le quai, dans les bazars, ne se fatiguent jamais et rendent au chrétien ou au musulman toute espèce de services. Un bâtiment a-t-il laissé tomber l’ancre, l’on voit aussitôt monter à l’échelle de longues figures décharnées, la tête couverte d’une loque en guise de turban : ce sont les Juifs ; ils s’inclinent devant les officiers, les matelots et les mousses ; à chaque voyageur ils offrent tout bas ce qu’il peut désirer. Voulez-vous des antiquités ? ils tirent de leurs poches des statuettes cassées, des camées, des mé-