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JEAN-PAUL RICHTER.

libre où je déverserais impunément mon venin et ma haine sur toute chose ; j’y soutiendrais que l’erreur gagne à vieillir comme le vin, je dirais que je suis le seul sage et que les autres sont des fous, que les livres nouveaux sont malsains comme le pain nouveau, et j’étendrais si bien mon bras, qu’il finirait par se trouver aussi long que le bras temporel. J’ai dû prendre ces précautions pour qu’à l’avenir vous ne m’accusiez plus d’athéisme. Souffrez maintenant que j’aille droit mon chemin, cherchant la vérité que j’aime et que je défends, parce que c’est mon devoir de l’aimer et de la défendre. Laissez-moi croire aussi que nous n’avons dans ce bas monde à nous proposer que l’imitation de Dieu et du Christ, la connaissance parfaite de ces deux natures étant réservée à l’autre, au monde à venir, et qu’un homme qui aime mieux prouver la divinité du Christ que suivre ses préceptes évangéliques ressemble à un paysan qui passerait sa journée à rechercher si son maître est de bonne et légitime noblesse, au lieu de le servir fidèlement et de l’aimer. Croyez enfin que c’est votre entêtement seul que je hais et non vous, non votre état, de tous les états le plus vénérable et celui dont on abuse le plus. »

Enfin, après tant de longues et infructueuses démarches, Jean-Paul venait de découvrir un éditeur pour ses satires. Il ne s’agissait plus que de s’entendre sur le titre, celui que l’auteur proposait ne convenant point au libraire[1] : « Ne vous fâchez pas, lui écrivait ce dernier, si je vous avoue ici que je me suis imposé la loi de ne jamais imprimer un livre dont le titre ne me semble pas devoir du premier coup entraîner le public. Après tout, si je publie un ouvrage, c’est pour le vendre ; et, sans perdre le temps en recherches inutiles, je crois qu’avec quelques petits changemens, notre livre pourrait très bien s’appeler : Choix des papiers de sir Lucifer. » Jean-Paul n’était point en position de repousser les exigences du libraire ; il se contenta donc d’une légère variante dans le titre indiqué, et l’ouvrage fut mis sous l’invocation du diable. Toutefois le patronage infernal dont le crédit n’a jamais fait défaut aux auteurs qui l’ont invoqué ne réussit point de prime abord à produire l’ouvrage à la lumière. Il fallait que la fortune du malheureux écrivain fût bien rebelle et bien désespérée pour oser défier ainsi le diable lui-même, cet infaillible fabricateur de succès. De jour en jour, la publication était différée ; enfin du 8 août on renvoya les choses au 15 mai de l’année suivante. « Pauvre livre,

  1. Jean-Paul voulait intituler son livre : Œuvres posthumes philosophiques et cosmopolites de Faustin.