Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/888

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aberrations où doit infailliblement se perdre l’ame qui ne reconnaît d’autre inspiration, d’autre guide que la poésie[1].

Titan fut le suprême effort du lyrisme de Richter, et se dresse dans son œuvre comme une sorte de mont Hécla. Il avait mis là, c’est lui-même qui parle, tous ses Niagaras, toutes ses trombes, tous ses nuages gonflés de tropes. La machine épique achevée, il sentit comme une délivrance et revint discrètement à son idylle d’autrefois, à ses moutons de Panurge. Goethe, on le sait, affectait le plus profond éloignement pour ceux de ses ouvrages qui se trouvaient appartenir à une période accomplie de sa carrière intellectuelle. Jean-Paul, sans porter aussi loin l’abnégation de la paternité littéraire (il en avait la bosse et très marquée), Jean-Paul abandonna les hauteurs de l’empyrée pour des régions plus modestes, et descendit de la montagne dans la plaine, dans cette plaine où vivottaient déjà Quintus Fixlein, Maria Wuz et Siebenkaes, et dont, à dater de cette époque, il augmenta de plus d’un bon original la population excentrique. Nous ne nous arrêterons pas sur Katzenberger, la Comète, Fibel, qui, sous le rapport de l’invention, ne contiennent à coup sûr rien de bien neuf, mais se recommandent

  1. Il y a quelques années, une tentative fut faite dans le but d’initier le public français au style du Titan. L’entreprise n’eut qu’un médiocre succès. Horace l’a dit, les livres ont leur destinée ; il s’agit pour eux d’arriver à temps, d’arriver surtout lorsque la voie est préparée, et de ne pas tomber des nues comme un aérolithe. Sur ce point, il nous semble que la traduction des deux premiers volumes de Titan n’était pas tout-à-fait exempte de reproches. M. Chasles, qui, du reste, avait plus que personne qualité pour un pareil travail, se méprit, selon nous, sur les conditions de la tâche qu’il avait acceptée. Il traita le chef-d’œuvre de Jean-Paul un peu comme il aurait fait d’un roman de Walter Scott, et, se contentant de le traduire avec esprit, le jeta, sans autre forme de procès, dans le torrent de la publicité. Or, c’était se tromper de courant. S’il y a une voie en France pour conduire Jean-Paul à cette haute estime qui ne peut lui manquer tôt ou tard, à coup sûr ce n’était point le cabinet de lecture. Avec des bommes tels que l’auteur d’Hesperus et de Titan, il faut surtout ne pas compter sur le chapitre de l’exégèse. De pareils travaux réussissent en France, on l’a prouvé, mais à condition qu’on les entoure de respect et d’amour, qu’on en fasse l’objet d’un culte presque superstitieux. A tout prendre, je préfère encore pour Jean-Paul le système adopté assez ordinairement par Mme de Staël, qui consiste à extraire d’une œuvre çà et là quelque noble morceau qu’on dispose et qu’on éclaire soigneusement, de façon à le dépayser le moins possible ; mais je voudrais ce système plus large, plus harmonieux, plus nourri de méthode et de critique, s’étudiant davantage à donner le contour. Une espèce d’anthologie habilement dirigée dans tous les sens serait encore ce qu’il y aurait de mieux.