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était la maîtresse des forçats ; cette nouvelle Fleur-de-Marie ne fait pas l’éloge de l’autre.

Le Maître-d’École est devenu tout bonnement le traître des vieux mélodrames ; assassiner pour de l’argent, se défigurer pour échapper aux poursuites de la police, porter des guenilles, il n’y a pas là de grands efforts d’invention. Au reste, ce Maître-d’École est encore un portrait : c’est Lacenaire. L’imagination de M. Sue aime à recruter sur les bancs de la cour d’assises. C’est de là aussi que vient le Chourineur ; seulement, celui-là est aussi honnête et dévoué dans son énergie grossière que le Maître-d’École est infâme et dépravé. Si le dévouement du Chourineur était expliqué d’avance et bien compris du spectateur, le drame aurait au moins un côté intéressant. M. Sue a encore gâté ce personnage, qui ne produit qu’une demi-émotion ; toutes ses belles actions sont comme des énigmes.

C’est avec ce personnel ainsi remanié que M. Sue a écrit ses onze tableaux. A-t-il composé un drame ? Parce que la toile se lève et s’abaisse onze fois, parce que le décorateur a fait de grands frais, parce que des fanges de la Cité on passe dans l’étude d’un scélérat, d’une mansarde délabrée dans un riche salon, d’un parc élégant dans une prison, d’un repaire de bandits dans une forêt ; parce qu’on accouple des princes et des comtesses avec des forçats et des assassins, on ne compose pas un drame, on accumule des évènemens, on entasse des personnages, et l’on parvient à bâtir une œuvre sans nom, où toutes les notions justes sont outragées. Croyez-vous que ce soit de l’art que de faire pousser des hurlemens de bête féroce à votre héros, et de montrer au public l’amour dans son expression la plus repoussante et la plus brutale ? Croyez-vous qu’il y ait un grand mérite à reproduire dans sa vérité exacte la mansarde des Morel ? Le décorateur et le costumier sont les auteurs principaux de pareilles scènes. La gloire qui vous revient cependant, c’est de nous avoir montré une idiote qui meurt de faim. Allez encore un peu plus loin, ne vous arrêtez pas en si beau chemin ; encore un progrès de ce genre, et vous nous montrerez des épileptiques sur la scène !

Comme il avait voulu égayer son livre, M. Sue a voulu égayer son drame, et sa gaîté est comme sa terreur, de mauvaise origine. Que l’auteur d’Arthur se juge ici lui-même : s’il croit dignes de son talent ces caricatures des Pipelet, bonnes tout au plus pour les tréteaux de la foire, nous nous inclinerons sans répliquer.

Quoique rien ne se tienne dans la pièce, que la plupart du temps les personnages se heurtent sans motifs, qu’il y ait un encombrement continu d’évènemens et de personnes, l’auteur a cependant, pour alléger le vaisseau, été forcé de jeter à la mer bien des passagers et des bagages ; il n’a pas fait encore assez de sacrifices, et les onze tableaux des Mystères de Paris, qui sont en beaucoup de parties un mélodrame à la Victor Ducange, n’ont certes pas le mérite d’action et l’habileté de contexture de Trente ans ou la Vie d’un Joueur. — Quant au dénouement, je suis convaincu que M. Sue, ayant fait intervenir les gendarmes, croit avoir donné satisfaction aux plus vives