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si elles trompent le public, et vous ne vous sauverez pas dans une caisse d’épargne. Vous avez vous-même arraché le masque. Ferrand et Cécily à côté des dissertations sur les salles d’asile, c’est du de Sade avec une préface de M. de Gérando.

On sent trop dans les romans de M. Sue que les deux ou trois honnêtes gens qui s’y promènent avec emphase n’y sont que pour le contraste. Rodolphe, Mme D’Harville, ont des vertus d’apparat, et leurs amours sont froids comme l’hiver. Ce sont des caractères tout tracés dès la première ligne, et qui se développent dans une psalmodie monotone. Cela est si vrai, que ces personnages chargés d’office de représenter la vertu sont taillés sur le même patron, coulés dans le même moule, et ne font que changer d’habit et de nom en passant d’un roman dans un autre. Ainsi Rodolphe, c’est M. de Rochegune, comme Mme D’Harville est Mathilde. Les emprunts que M. Sue se fait à lui-même ne sont pas suffisamment déguisés : M. de Rochegune et Mathilde n’ont réellement changé que de nom. Je dois dire aussi que M. Sue ne copie pas seulement ses types vertueux, qu’il copie les autres, et se répète ainsi sous toutes les espèces. Qui croirait, à la première vue, que la Chouette est un vieux type dont M. Sue se sert en toute occasion, et, par exemple, que c’est Mlle de Maran à s’y tromper ? La Chouette et Fleur-de-Marie ne sont qu’une seconde édition, Mlle de Maran et Mathilde étaient la première. Bien des gens ne regardent pas de si près les choses, et puisque la Chouette est une femme du peuple, tandis que Mlle de Maran est une grande dame, ils ne comprennent pas qu’il puisse exister la moindre ressemblance. La critique doit déshabiller les personnages et leur faire subir un long interrogatoire pour constater leur identité et savoir exactement d’où ils viennent. Puisque je suis sur le chapitre des emprunts, Rochegune ou Rodolphe, n’est-ce pas la même chose que Grandisson ? Tous les trois sont également beaux, également braves, au même degré pères du pauvre et modèles des amoureux ; tous les trois aiment une femme vertueuse et sont poursuivis de l’implacable amour d’une méchante femme. De même je voudrais savoir quelle différence il y a entre Mathilde et miss Byron ? Il n’y a pas jusqu’aux évènemens extérieurs qui ne soient reproduits avec un peu trop de fidélité. Rochegune sauve Mathilde et l’arrache courageusement des mains de son ravisseur ; Grandisson aussi arrive comme une providence, et le ravisseur est pourfendu. Il y a, à cet endroit de Mathilde, il est vrai, un narcotique qu’on ne trouve pas dans Grandisson : il faut aller le chercher dans Clarisse ; mais le procès est entre M. Sue et Richardson. — Je reviens à mon observation ; je