Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/963

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa parole était obscure, et cependant on l’accueillait avec respect ; les moins instruits s’efforçaient de deviner l’intention politique qu’il cachait sous les formes de la science. Sa vie fut si triste, si traversée par les évènemens, si calme pourtant par la pensée, si pleine d’espérance et en même temps de réserve ; il eut besoin de tant d’énergie contre des obstacles toujours croissans ; l’époque d’un triomphe rêvé par le publiciste dès la première révolution semblait à la fin si reculée, si lointaine à celui dont les amis étaient en exil ou au Spielberg, que le dernier souhait de Romagnosi mourant au milieu de la génération nouvelle fut qu’on mît sur sa tombe le mot de saint Paul : Cursum communavi, fidem servici.

Avec Gioja et Romagnosi, le XVIIIe siècle finit en Italie. M. Gelluppi introduit à Naples, vers 1628, les doctrines de Reid, mais sans vue d’application, sans intentions politiques, et par conséquent sans influence réelle, malgré son talent et malgré les vingt volumes de sa philosophie écossaise. A l’heure qu’il est, par une destinée que beaucoup de personnes en France pourraient trouver bizarre, la suprématie de Gioja et de Romagnosi est passée à M. Antonio Rosmini-Serbati, l’un des hommes les plus influens du parti ultra-catholique italien. M. Rosmini-Serbati appartient à l’une des premières familles du Tyrol : il est grand seigneur, et cependant il a choisi de bonne heure l’état ecclésiastique. Ses premiers travaux, imprimés en 1621, sont des livres ascétiques ; depuis, il a écrit dans les Mémoires de religion, recueil publié à Modène, et dans presque tous les journaux religieux de la Haute-Italie. Attaché au saint-siège et à tous les pouvoir établis, il n’a pas cessé de combattre pour la cause de la monarchie et de la religion ; sa haine contre le XVIIIe siècle éclate à chaque page de ses ouvrages ; sa vie toute entière est consacrée au culte de sa foi. Jeune encore, il refusa une haute dignité qui lui ouvrait la voie du cardinalat ; plus tard, quand sa réputation avait grandi, on lui offrit la place de curé dans sa ville natale : il l’a acceptée. Dans le Tyrol, on l’a vu assister des condamnés sur l’échafaud : une bulle du papae témoigne des services qu’il a rendus à l’église ; en Piémont, il a fondé un nouvel ordre religieux, l’ordre des pères de la charité chrétienne. Certes ses actes de dévouement, sa carrière écclésiastique, n’expliquent pas son influence ; la philosophie italienne n’a pas renoncé au voltairianisme, encore moins aux tendances révolutionnaires. Cependant il y a des écrivains, des historiens, des poètes, qui se sont ralliés aux doctrines de M. Rosmini : ces doctrines sont admises ou discutées sur tous les points de l’Italie ; des patriotes ont travaillé avec ardeur à