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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

C’était une triste position : Gioja, provoqué, prit la plume, et l’opinion publique lui obéit pour la dernière fois. Sans s’inquiéter des abstractions du philosophe, sans discuter les théories, il alla droit aux conclusions politiques. Suivant lui, M. Rosmini demandait le gouvernement des prêtres, voulait envoyer au diable la littérature classique, étouffer toute liberté, nous ramener à la scolastique, au mysticisme, à la théocratie, au moyen-âge, le tout au nom de la vérité, de l’amour, du bonheur. « Vous êtes ostrogoth et menteur disait-il au prêtre tyrolien, et il l’injuriait, le bafouait, couvrant de ridicule ses patriarches bergers, ses idylles obscurantistes et son âge d’or, rempli de crimes et de tyrannies. M. Rosmini répondit par un volume contre Foscolo et Gioja, volume qui semble dicté par Torquemada, en collaboration avec Rousseau[1]. Foscolo est d’abord représenté comme un démon incarné dans un homme, et signalé avec son parti à la vengeance des rois[2]. Il fallait ensuite anéantir Gioja : ici la haine du théologien est calme, tant elle est concentrée. Gioja avait écrit peut-être trente volumes d’économie politique qui se résumaient naturellement dans une définition de la richesse : M. Rosmini prit cette finition et la mit en lambeaux. L’Apologie de la Mode était l’un des ouvrages les plus spirituels de Gioja : M. Rosmini démontra que l’Apologie de la Mode exalte tous les crimes de la barbarie civilisée. Dans un autre ouvrage, le Code de Civilité, Gioja appliquait les lois du plaisir à l’étiquette, à la bienséance, à la décence, et à toutes les illusions qui servent, selon l’économiste italien, à cacher notre égoïsme. C’était là un livre bizarre, recommandé au public par deux grands souvenirs de littérature classique, le Courtisan de Castiglione et le Galateo de monseigneur de la Casa, deux ouvrages qui retracent les vieilles mœurs italiennes, l’un avec l’élégance, l’autre avec la pompeuse éloquence du beau siècle de Léon X. M. Rosmini s’empara du Galateo et traça un nouveau code de civilité à l’usage des hommes de lettres. Il y dénombra tous les vices des écrivailleurs italiens : la fureur, le calme hypocrite, les injures, les assertions gratuites, la sottise, la férocité, la rigueur odieuse, les flatteries, etc. Bref, M. Rosmini fit un traité en forme sur toutes les turpitudes possibles, en démontrant à la fin de chaque paragraphe que M. Gioja était étourdi, mal élevé, sot, féroce, hypocrite, insolent, pointilleux, matériel, écrivain mécanique, etc., etc. Enfin M. Rosmini donna un nouvel exposé

  1. Opuscoli filosofici ; Milano, vol. II, 1828.
  2. Sulla speranza, contro alcune idee di Ugo Foscolo, t. III, § 1.