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Jusqu’ici, M. Rosmini n’a fait qu’expliquer l’acte de la pensée ; il reste à en déterminer la valeur. Pouvons-nous nous fier au témoignage de la pensée quand elle atteste l’existence des objets ? Pouvons-nous sortir de nous-mêmes pour le vérifier ? Nous voilà en présence de l’ontologie ; il faut la combattre ou l’accepter. Le philosophe italien s’attache à résoudre ce nouveau problème en démontrant l’infaillibilité de l’idée. Selon lui, l’idée est indéterminée, ce n’est qu’une possibilité abstraite ; il est absurde d’en demander la preuve, il est impossible d’en contester l’existence : car, pour la contester, il faut un doute ; le doute est un jugement, et le jugement suppose déjà l’existence de l’idée. Comment donc la nier ? En la niant, on l’affirme, et le scepticisme, pour détruire toute certitude, doit se détruire lui-même. D’ailleurs, nous n’avons pas à sortir du moi pour vérifier le monde ; devant l’idée, il n’y a ni intérieur, ni extérieur ; ce sont là des notions purement mécaniques. Si l’idée est indéterminée, de pareilles distinctions ne peuvent la subjuguer, elle se joue de tous les sophismes des matérialistes, elle ne se laisse pas reléguer en nous comme un être matériel. On dit que nos sens pourraient nous donner de fausses représentations des objets extérieurs, soit ; la croyance n’est pas dans les sens, elle est dans l’idée ; l’idée indéterminée ne s’altère pas, et l’erreur des sens, s’il y a erreur dans les sens, ne peut pas remonter jusqu’au premier principe de la pensée. L’idée est donc infaillible ; son infaillibilité justifie la raison et tous ses actes. Qu’est-ce que la croyance au monde ? C’est la perception, c’est l’union de l’idée avec les sensations. Il y a là une équation parfaite entre l’idée du possible et la première sensation qui se présente ; il en résulte, d’après M. Rosmini, la démonstration du monde extérieur. Qu’est-ce que la croyance à nous-mêmes ? C’est toujours l’idée du possible appliquée à nos sentimens. Ici encore les deux termes se conviennent ; donc nous existons. D’ailleurs, le moyen d’ébranler les croyances du sens commun, si elles sont toutes des applications variées d’une idée qui ne saurait nous tromper ? Ainsi, le doute a beau nous assaillir de tous côtés : il est certain que nous pensons, et dès qu’il y a une idée dans la pensée, cette idée suffit à constater la vérité de toutes nos pensées[1]. »

Un dernier trait complète la métaphysique de M. Rosmini : le doute, le scepticisme vaincu, il faut éviter l’écueil du panthéisme sans perdre la connaissance de Dieu. Or, suivant M. Rosmini, l’idée, c’est Dieu ; l’élément de la pensée est Dieu ; la pensée est inséparable de Dieu. Mais la sensation limitée et finie présente des caractères opposés à

  1. Nouvel essai, etc. vol. III