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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

sence de toute vertu. Si la vertu et le bien n’étaient pas une seule et même chose, la vertu dans son juste orgueil dédaignerait le bien, ne pouvant rien accepter que d’elle-même. Tel a toujours été le sentiment de tous les peuples ; le Koran est sur ce point d’accord avec la Bible. Mahomet raconte que Moïse a secouru les filles de Jéthro. Pour lui prouver sa reconnaissance, Jéthro l’invite à s’asseoir à sa table ; Moïse refuse. Il y a dans notre famille, dit-il, cette loi inviolable : tu feras le bien sans en attendre aucune récompense. — Et dans ma famille, répond Jéthro, il y a aussi cette loi sacrée : tu ne laisseras pas partir un étranger sans lui avoir offert l’hospitalité. L’Évangile a donné la science de ce sentiment moral qui se développait obscurément dans l’histoire de l’antiquité.

Cette théorie est développée avec force par M. Rosmini, mais il faut se placer au point de départ même du philosophe. En divinisant la pensée, M. Rosmini l’a rendue infaillible ; il est donc forcé d’inventer une seconde intelligence responsable, et cette intelligence rend compte à elle seule de la vertu tout entière. Qu’arrive-t-il ? Tant que M. Rosmini attaque les philosophes, il est irrésistible, sa marche est sûre ; comme le principe moral est étranger à la raison, les philosophes s’efforcent en vain de le saisir par la raison ; ils passent de l’ordre à Dieu, à la nature, à l’instinct, et, par d’innombrables cercles vicieux, reviennent toujours au point de départ pour se débattre contre de nouvelles difficultés, quand il faut concilier la Providence et le mal, la liberté et la prescience. M. Rosmini propose une théorie nouvelle, et malheureusement il échoue par la faiblesse de son propre principe. Comment y aurait-il deux intelligences dans l’homme pour expliquer l’acte unique de la pensée ? Comment l’intelligence volontaire pourrait-elle haïr le bien, chérir le mal, falsifier artificieusement tous les rapports, toutes les connaissances, dans le seul but de se perdre ? Cette intelligence est une chimère, c’est le génie du mal qui veut le mal pour lui-même, sans motif, sans cause ; c’est une puissance imaginaire et absurde, tant elle est malfaisante. Admettons-la : supposons que le vice soit un mensonge de l’intelligence volontaire. L’important était d’indiquer le principe premier qui défend le mensonge : quel est ce principe ? M. Rosmini le suppose sans cesse, et il ne l’indique jamais. Tantôt il confond le mensonge avec la contradiction, et dans ce cas le vice est impossible ; tantôt il dit que le mensonge est honteux, et alors c’est la honte, c’est le sentiment qui oblige, et non pas la vérité. Les sentimens obligent-ils ? Non, M. Rosmini a réfuté les théories qui admettent les sentimens comme obligatoires ; il a raillé