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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

la capacité de l’intelligence subit donc une nouvelle atteinte, et le mouvement intellectuel ainsi limité s’affaiblit tous les jours. À l’âge des plaisirs, ce mouvement s’arrête, le plaisir est sensuel, et on ne saurait rien imaginer de plus fugitif dans le temps, de plus borné dans l’espace, de plus contraire à l’abstraction, de plus opposé à la prévision, de plus limité dans son but. L’intelligence s’éteint dans les sociétés corrompues, ou, si elle s’agite encore, elle ne présente que des oscillations de plus en plus affaiblies. Les anciennes formes de gouvernement subsistent, mais ce ne sont plus que des apparences ; l’ancienne langue vit encore, mais le sens des mots se perd : les souvenirs de l’ancienne sagesse sont tournés en ridicule. Une littérature d’imitation, une originalité d’emprunt, insultent aux traditions de l’art ; la science fait l’apologie du luxe, du vice, de l’impiété, et toutes ces causes conspirent à la dissolution de la société.

Si les nations se dégradent sans cesse en passant de l’existence à la puissance, à la richesse et au plaisir, il n’en est pas de même pour les individus. Tandis que l’intelligence collective s’éteint, l’intelligence individuelle grandit et se développe. Une fois arraché à la corruption traditionnelle de la famille, l’homme est plus fort que les hommes ; il reste seul, mais il se dérobe à la décadence universelle. Les grandes conquêtes se font par des armées composées d’hommes sans famille, les fondateurs de Rome n’avaient pas de femmes avec eux ; en Grèce, Cadmus, Thésée, les autres législateurs qui viennent apporter les arts, le culte, fonder des états, sont des individus isolés, ou, pour traduire plus fidèlement M. Rosmini, des célibataires (scapoli). Dans l’Inde, les castes résistent à la corruption des masses ; c’est encore la hiérarchie fondée sur la capacité des individus qui fait toute la force de l’empire chinois. Les individus seuls résistent donc à la décadence progressive des sociétés, soit comme législateurs, soit comme fondateurs, soit comme conquérans. Les conquérans surtout sont providentiellement prédestinés à la régénération des peuples ; quand ceux-ci ont perdu leurs droits à la vie, les conquérans s’en emparent et les améliorent en les associant à leur propre destinée. L’histoire de l’antiquité se développe par l’action des conquérans sur la société ; la civilisation part de l’Assyrie pour arriver jusqu’à Rome de conquête en conquête ; plus tard elle continue sa route vers le nord-ouest, s’affaiblissant au midi et se renouvelant par le nord.

Malheureusement l’influence des individus ne pouvait rester long-temps triomphante dans la société païenne. Il devait venir une époque où la déchéance des peuples entraînerait celle des hommes, où la cor-