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élevé à Vénus dans Athènes ; mais elle le pouvait au temps d’Euripide : le promontoire de Methana, qu’une convulsion géologique a soulevé plusieurs siècles après, ne dérobait pas alors à l’épouse de Thésée le séjour d’Hippolyte.

Les plus minutieuses observations faites sur les lieux ont leur prix quand elles font disparaître d’apparentes contradictions entre les témoignages des poètes anciens et nous confirment dans notre foi à la véracité de leurs peintures. En voici un exemple. J’avais toujours été frappé d’un dissentiment remarquable entre les poètes latins et les poètes grecs au sujet de la cigale. Suivant les premiers, ce chant est rauque et importun ; les seconds le représentent comme plein de douceur. Homère et Hésiode parlent de la cigale, qui répand dans les airs sa mélodieuse chanson ; Anacréon, dans une ode charmante, célèbre sa voix harmonieuse ; dans Théocrite, le chant du berger vainqueur est trouvé semblable à celui de la cigale, et le poète comique Eupolis lui comparait le langage de Platon ; enfin, l’Anthologie est pleine de petites pièces de vers qui célèbrent la grâce de ce chant. Ce contraste entre les expressions de Virgile et celles d’Hésiode, d’Anacréon, de Théocrite, des poètes de l’Anthologie, m’a été expliqué quand j’ai pu comparer le chant de la cigale en Italie et en Grèce ; je l’ai trouvé, est-ce une illusion ? criard dans le premier de ces deux pays, et agréable dans le second.

Chose remarquable ! avec l’exactitude des peintures diminue chez les Grecs l’essor de la poésie[1] ; la puissante imagination d’Homère, d’Eschyle, de Pindare, s’assujétissait à faire de la nature un portrait ressemblant ; les poètes de la décadence semblent trouver au-dessous d’eux cet esclavage du vrai ; dans leur liberté stérile, ils ne tracent que des descriptions vagues. Presque jamais, par exemple, vous ne trouverez chez Quintus de Smyrne ces épithètes caractéristiques si fréquentes chez son vieux compatriote Homère. Apollonius de Rhodes brouille tout dans son énumération des villes de la côte de Magnésie, tandis que dans l’Iliade le catalogue des vaisseaux, qui faisait autorité en justice dans l’antiquité, est aujourd’hui pour la science un recueil de documens aussi clairs que précieux. Ainsi ce sont les plus éminens des poètes grecs qui ont le plus fidèlement reproduit les traits de la nature offerte à leurs regards ; chez eux, jamais rien de faux ou de confus. La poésie la plus divinement inspirée a une exactitude et une précision géographiques. Les grands écrivains des temps modernes n’ont

  1. Déjà Euripide est moins exact ; il dit que le Cithéron est toujours couvert de neige, ce qui est faux. (Baech., 660.)