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et les troupeaux du soleil ; plus loin encore, sont les rochers des sirènes, l’île de Calypso près de Malte, et l’île de Circé sur la côte d’Italie. A mesure que la Grèce se rapproche de nous, elle semble s’éloigner d’Homère. De même qu’Hésiode désigne confusément par la vague indication d’îles lointaines le Latium et le pays qui devait être le centre de notre monde, Homère place dans le détroit de Messine les roches errantes que les chantres anciens de l’expédition des Argonautes avaient placées dans la mer Noire, parce que le merveilleux suit toujours l’inconnu. C’est au sujet d’Ithaque et des côtes occidentales de la Grèce qu’a été le plus contestée l’exactitude topographique d’Homère, si frappante dans la plaine de Troie. La poésie homérique semble donc un produit de cette civilisation grecque qui a devancé sur les côtes de l’Asie mineure la civilisation de la Grèce européenne, et d’où sont venues la philosophie et l’histoire comme l’épopée. En présence du ciel le plus beau et le plus doux sous lequel puissent vivre les hommes, le génie humain a dû porter ses premières fleurs. Les Homérides, cette tribu poétique au sein de laquelle se conserva le dépôt des œuvres du grand homme dont elle portait le nom, les Homérides habitaient Chios. Chios, qui touche presque à la côte d’Asie, fut long-temps l’asile de la poésie dont l’Ionie avait été le berceau. Au temps des poètes cycliques, continuateurs sans génie de l’épopée grecque, c’est encore des mêmes contrées que s’élève le prolongement affaibli des chants homériques. Arctinos est de Milet, Leschès de Lesbos, Stasinos de Chypre : la muse épique a peine à s’éloigner de l’Asie.

Transportons-nous du brillant rivage ionien dans le fond de la Béotie, de la radieuse cité de Smyrne dans la petite ville de Pyrgaki. Nous sommes à Ascra ; de la patrie d’Homère nous avons passé à la patrie d’Hésiode ; le ciel a changé ; nous respirons un air plus lourd, l’air béotien, qui appesantissait les esprits, et passe pour les appesantir encore. Le climat est plus rude ; ce lieu a les inconvéniens des pays situés au pied des montagnes. Les sommets de l’Hélicon rendent les hivers longs et rigoureux ; l’été, ils réfléchissent cruellement les rayons du soleil à l’orient, et interceptent les brises rafraîchissantes