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physique. Pour déterminer les enfans à endurer cette rude corvée de treize à quatorze heures par jour, les parens leur abandonnaient une partie du salaire, et les émancipaient ainsi avant l’âge de raison. « Je ne presse pas le comité, disait encore le père de sir Robert Peel en 1816, d’exprimer une opinion sur les conséquences que doit avoir pour la santé et pour le bien-être de ces malheureux enfans le travail excessif auquel on les soumet : cela n’est plus nécessaire après que vous avez entendu les hommes éminens de l’art médical appelés devant vous ; mais je désire ardemment faire comprendre au comité qu’à moins d’une intervention nouvelle du parlement, le bénéfice de l’acte sur les apprentis sera complètement détruit. On cessera d’employer les apprentis des paroisses ; mais, à leur place, on appellera d’autres enfans, entre lesquels et leurs maîtres il n’existera point de contrat permanent, et qui n’auront aucune garantie. L’emploi sans choix et sans limites des pauvres qui peuplent les districts manufacturiers aura pour la génération naissante des effets tellement sérieux et tellement alarmans que je ne puis les envisager sans terreur, en sorte que ce grand effort du génie anglais, qui a porté à un si haut degré de perfection les machines de nos manufactures, au lieu d’être un bienfait pour le pays, deviendra pour nous la plus amère malédiction. »

La malédiction que prophétisait le vieux Peel s’est appesantie en effet sur l’Angleterre. Comme les Espagnols dans l’Amérique du Sud, les Anglais éprouvent aujourd’hui sur leur propre sol qu’il est plus difficile d’abolir l’esclavage que de l’instituer. La croisade en faveur des enfans des fabriques dure déjà depuis trente ans ; le Pierre l’Hermite de ce mouvement fut un homme dont le nom, mêlé à des rêveries antisociales, se recommande pourtant par un dévouement sincère à tous les sentimens généreux. Après avoir dirigé une filature dans le voisinage de Manchester, M. Robert Owen acheta l’établissement de New-Lanark en Écosse, où 500 enfans, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à l’âge de huit, pris parmi les pauvres d’Edimbourg, étaient attelés à l’ouvrage des hommes. Ces petits ouvriers, bien nourris, bien logés, bien vêtus, avaient une certaine apparence de fraîcheur et de santé ; mais M. Owen ne tarda pas à reconnaître que la plupart avaient les jambes déformées, qu’ils ne grandissaient pas, et que, la fatigue énervant leur intelligence, ils apprenaient difficilement à épeler les lettres de l’alphabet. Immédiatement, pour couper court à la cause du mal, la durée du travail fut réduite à dix heures et demie par jour, et l’on n’admit plus d’enfans dans la manufacture avant l’âge de dix ans.

M. Owen ne se contenta pas de donner l’exemple de la réforme ; il