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du père, il n’y a pas de difficulté sérieuse à étendre celle du magistrat. Ajoutons que le bill reste même en-deçà de la ligne de démarcation tracée par le gouvernement, et qu’il épargne certaines industries de grande dimension. Les manufactures d’indiennes, de poterie et de quincaillerie, qui en sont affranchies, emploient beaucoup plus d’enfans que les filatures. En les exemptant de la surveillance légale, on arrive à ce résultat passablement ridicule, qu’une loi qui avait la prétention de régler le travail des enfans se trouve avoir été faite à peine pour vingt à vingt-cinq mille d’entre eux.

La loi nouvelle réduit à six heures et demie par jour la durée du travail dans les manufactures pour les enfans de huit à treize ans. On abaisse donc l’âge de l’admission en même temps que l’on diminue la tâche quotidienne. Le bill décide encore que les enfans qui auront été employés le matin ne pourront pas l’être dans l’après-midi. C’est diviser la journée de travail en deux parties égales, et rendre obligatoire le système des relais. En partant de cette base, que personne aujourd’hui ne conteste plus en Angleterre, on pourrait assurément généraliser la méthode des relais et l’appliquer à toutes les branches de l’industrie ; mais il faudrait alors faire ce que fait l’Allemagne, et combiner pour les enfans les soins de l’éducation avec la limitation du travail. L’acte de 1842 frappe de certaines pénalités les parens qui auraient exagéré l’âge de leurs enfans pour leur ouvrir l’entrée des mines ; pourquoi n’a-t-on pas imposé par analogie, à tous les pères de famille, l’obligation d’envoyer leurs enfans dans les écoles jusqu’à l’âge de treize ans, durant une partie du jour ? Si l’assiduité des enfans aux écoles devenait ainsi obligatoire, ce serait le moyen de contrôler la durée du travail dans les ateliers et de s’assurer que le temps dérobé au travail recevrait un utile emploi. Je sais que les préjugés religieux n’ont pas permis qu’un système national d’éducation s’établît en Angleterre, et que le gouvernement a dû retirer, devant l’opposition des dissidens[1], le bill de 1843, qui avait pour objet d’instituer des écoles publiques dans les districts manufacturiers. Je sais qu’il faudrait un rare courage pour entreprendre, dans un pays aussi profondément remué par l’esprit de secte, de séculariser l’instruction et de l’enlever aux représentans du clergé ; mais le succès est à ce prix. La nécessité de régler le travail des enfans ne fait plus question en Angleterre ; la cause est gagnée en principe, et il ne reste

  1. Les pétitions adressées à la chambre des communes contre le bill de 1843 étaient couvertes de deux millions de signatures.