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au ministère une partie de l’ascendant qu’il avait perdu. Le parlement est entré dans la voie périlleuse que le projet de loi lui ouvrait ; le Rubicon est passé : la motion de M. Roebuck, qui tendait à faire consacrer le principe de la liberté des transactions en matière de travail, n’a réuni que 76 voix sur 368 votans. Néanmoins, tout en admettant la thèse récente en Angleterre de l’intervention de l’état, l’assemblée a refusé d’aller plus loin que le gouvernement. L’amendement de lord Ashley a été repoussé cette fois par une majorité de 138 voix.

Si l’on ne considère que les forces respectives des partis dans la chambre des communes, l’amendement aurait dû réussir. En effet, la seule opinion décidément contraire est celle des radicaux et des économistes qui forment, comme la motion de M. Roebuck l’a fait voir, une très faible minorité. Si l’on joint à ceux-là l’état-major ministériel, les hommes dont la raison d’état règle toujours la conduite, on aura l’ensemble assez peu imposant des adversaires naturels de lord Ashley. Quant à ses partisans, bien que les motifs qui lui avaient valu leur concours ne fussent pas les mêmes pour tous, ils lui apportaient, avec l’autorité du nombre, une égale et formidable ardeur. C’était d’abord le parti philanthropique coalisé avec le parti religieux ; venait ensuite l’aristocratie foncière, enchantée de faire diversion à la ligue qui a pour objet l’abrogation des lois sur les céréales en probr ???nent une espèce de guerre civile dans les districts manufacturiers ; enfin le parti whig s’y jetait, lord Palmerston et lord John Russell en tête, dans l’espoir de battre en brèche le ministère, et au grand scandale de tous ceux qui étaient demeurés fidèles aux convictions que ces hommes désertaient.

Je ne puis pas croire que l’influence du ministère ait suffi pour dissiper cette conjuration. Sans doute sir Robert Peel et sir J. Graham ont rallié quelques-uns des leurs, en leur faisant comprendre que le sort du cabinet, que la politique des tories était en question ; toutefois une cause plus puissante a dû agir sur la chambre ; cette cause, je la vois dans l’état même du pays. Malgré les excitations de la presse, l’Angleterre est restée non pas froide, mais hésitante et embarrassée. Les manufacturiers ne se sont pas montrés unanimes contre l’amendement de lord Ashley, ni les ouvriers en sa faveur. Le vieil Oastler, promenant son fanatisme éloquent de ville en ville, dans les comtés d’York et de Lancastre, n’a pas traîné, comme il s’en flattait, des flots d’ouvriers après lui. Le clergé dissident, qui domine dans les districts industriels, est resté neutre ; le clergé de l’église établie, malgré des exemples individuels, n’a pas encouragé l’agitation. Le Times