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diplomatie ourdissait autour de la prochaine élection la trame habituelle de ses froides et égoïstes combinaisons. La Suède eut le bonheur de ne point se laisser enlacer dans ce tissu de négociations trompeuses. Elle voulait un homme fort, intelligent, dévoué, et Bernadotte fut cet homme.

Le 19 octobre 1810, le maréchal de France, devenu prince royal d’un état Scandinave, recevait, sur les frontières du Danemark, au bord du Sund, la députation envoyée au-devant de lui : l’archevêque d’Upsal et l’archevêque de Lund, chargés de recevoir sa profession de foi, les comtes Charles et Gustave de Löwenhielm, désignés pour l’accompagner dans son voyage. Le lendemain, il posait le pied sur le sol de la Suède, au milieu d’une population immense qui se pressait avec une avide curiosité sur sa route et le saluait avec enthousiasme. Si les acclamations qu’il entendit alors, si le respect qu’on lui témoignait, étaient pour lui d’un bon augure et lui donnaient un doux espoir, tout ce tribut d’éloges et tous ces témoignages de confiance lui imposaient en même temps de graves devoirs. En s’avançant de Helsingborg vers Stockholm, il pouvait voir, à travers les arcs de triomphe élevés sur son passage, bien des terres incultes et bien des hameaux appauvris, dépeuplés par les dernières guerres. En interrogeant les deux comtes de Löwenhielm, il pouvait recueillir de douloureux détails sur le règne de Gustave-Adolphe et sur ses funestes résultats.

C’était ce roi extravagant qui, du fond de son faible royaume de Suède, déclarait à la fois la guerre à la Russie, à la France et au Danemark. L’armée française lui enlevait Stralsund, la Poméranie, l’île de Rugen ; l’armée russe lui arrachait l’un après l’autre dans une sanglante campagne tous les districts de la Finlande ; le Danemark le tenait en échec du côté du Sund. Il n’avait d’autre soutien que l’Angleterre : il s’aliéna encore ce dernier allié, et resta seul, dans son aberration d’esprit, livré au ressentiment des deux plus grandes puissances de l’Europe. Les souffrances de ses troupes décimées dans l’affreuse expédition de Finlande, le généreux dévouement de ses officiers et de ses soldats ne pouvaient toucher son cœur, et les désastres d’une guerre insensée, la famine, qui éclata en 1809, l’aspect d’une population que les rigueurs de l’hiver, les privations de tout genre réduisaient à la dernière extrémité, rien ne pouvait le faire sortir de son aveuglement. Au milieu des douleurs qui éclataient de tous côtés, dans le deuil de sa capitale où, au commencement de 1809, on enterrait chaque jour les morts par centaines, un beau matin, Gustave-Adolphe signe avec la plus parfaite tranquillité d’ame un décret qui ordonne une levée de cent mille hommes et un impôt de trente millions,