Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les équipages, le découragement dans notre corps d’officiers. Avec la voile, on possède une organisation complète, sanctionnée par l’expérience ; avec la vapeur, on n’a que des tâtonnemens, des incertitudes. La navigation à l’aide des vents est arrivée presqu’à sa perfection ; la navigation à feu est encore dans l’enfance. Tandis que l’une est stationnaire et ne comporte plus que des améliorations de détail, l’autre se trouve dans la première fièvre de la découverte, toujours féconde en métamorphoses, toujours pleine de surprises. Chaque jour, des procédés nouveaux font place aux anciens, et ces expériences, réalisées à grands frais, se détruisent l’une l’autre, semblables à la toile de Pénélope. On va ainsi vers l’inconnu, en accumulant les sacrifices, sans bien savoir s’ils auront une compensation, et quelle sera cette compensation. Dès-lors pourquoi se hâter ? Pourquoi se livrer à l’innovation avant qu’elle ait dit son dernier mot, et qu’elle ait parcouru sa période d’épreuves ?

A la suite de ces objections qui portent sur l’ensemble de la Note, viennent les objections de détail. La vapeur, l’auteur en convient, ne peut servir d’instrument offensif que dans les mers d’Europe et sur la zone de nos attérages. Il ne faut lui demander ni de longues croisières ni des services lointains. Ainsi ces bâtimens à voiles que la Note frappe d’une sorte de discrédit en engageant le pays à retirer sa confiance aux vaisseaux, ces mêmes bâtimens restent toujours la seule sauvegarde de nos possessions d’outre-mer, et l’auteur conseille d’y consacrer une division de frégates du premier rang. N’est-ce pas là, dit-on, une inconséquence ? La vapeur, devenue l’arme principale, n’est propre, dans le système de la Note, qu’à une guerre de surprises et d’embuscades, tandis que la voile, désormais l’arme accessoire, protège nos intérêts sur tout le globe et fait flotter au loin notre pavillon, A qui reste le plus beau rôle, même dans cette hypothèse ? Évidemment à l’action maritime qui s’exerce dans le rayon le plus étendu, porte le plus loin son effort, et a, si l’on peut s’exprimer ainsi, le plus d’haleine.

Voici, en outre, un nouvel écueil : la France, supposons-le un instant, a retiré sa confiance à ses vaisseaux, comme le conseille la Note ; mais l’Angleterre ne l’a pas suivie dans cette voie, et expédie encore sur toutes les mers des colosses à trois ponts. Nos rapides bâtimens à vapeur se dérobent au feu de ces citadelles flottantes, c’est le seul avantage qu’on puisse en attendre. Cependant les vaisseaux anglais se dirigent vers les parages où nous avons envoyé nos frégates, et engagent avec elles un combat inégal, de manière à les réduire successivement à l’impuissance. Comment empêcher ce résultat dans l’hypothèse que l’on vient d’admettre ? La substitution de la vapeur à la voile ne peut donc être un acte unilatéral sans découvrir la puissance qui en prendrait l’initiative, et sans laisser dans les mains de ses adversaires une arme dont elle se serait trop tôt dessaisie. Puis, quelle serait désormais la guerre navale ? Faudrait-il la réduire à un système de croisières où l’on fuirait devant le plus fort pour attaquer seulement le plus faible ? Dès-lors, plus de ces engagemens héroïques qui mettent en présence toutes les forces, toutes les ressources de deux nations ; le temps de ces combats