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le goût du comfort ; dans quelques maisons, on aperçoit une pendule, dans d’autres un sofa, dans d’autres encore un piano ; les livres ne sont pas rares, mais j’ai vu peu de bibles, ce qui semble attester cette indifférence religieuse qui a été signalée parmi les ouvriers de M. Ashton.

À défaut de religion, l’on a du moins cherché à répandre l’instruction parmi eux. Il résulte d’un tableau communiqué en 1833 à la commission des manufactures que, sur 1,175 ouvriers, 87 ne savaient ni lire ni écrire, 512 savaient lire, 576 lisaient et écrivaient couramment. La proportion des ouvriers lettrés est ici infiniment supérieure à celle que présentent les manufactures de Manchester et de Glasgow. M. Ashton a élevé une magnifique maison d’école, qui sert en même temps de chapelle, et où 700 enfans se réunissent le dimanche. Il y a en outre des classes le soir pour les plus avancés, et, dans le jour, chaque famille peut y envoyer ses petits enfans pour une rétribution modique de 2 pence (4 sous) par semaine, M. Ashton prenant les maîtres à ses frais. Il paraît cependant que le nombre des enfans qui mettent cet enseignement à profit est très restreint ; les parens préfèrent les laisser vaguer dans les rues. En revanche, la musique a plus d’attraits pour cette population ; les ouvriers ont contribué spontanément à l’érection de l’orgue jusqu’à concurrence de 160 livres sterl.

Pour se consoler de ce que ses efforts n’obtiennent pas un succès complet, M. Ashton jette volontiers un regard sur le passé. « J’ai vu le temps, me disait-il, où, sur trois cents personnes assemblées dans une taverne de Birmingham, une seule se trouvait en état de lire le journal aux autres. » Il croit aussi que la moralité n’a pas fait moins de progrès que l’instruction, et cette illusion lui est permise, quand il contemple les résultats de l’ordre qu’il a établi. La population de Hyde tranche honorablement sur les autres villes manufacturières ; le genièvre n’y a pas encore élevé ses palais ; on y voit peu d’ivrognes, et on n’y souffre pas de prostituées. Les naissances illégitimes sont assez rares ; par une exception peu commune dans les districts manufacturiers, les femmes mariées s’occupent en général de leur ménage, ou, quand elles travaillent à la filature, paient une servante pour prendre soin de leurs enfans.

Je demandais à M. Ashton si les ouvriers de ses manufactures, recevant des salaires beaucoup plus élevés que les journaliers et que les laboureurs, trouvaient le moyen de faire des économies. « Quelle est la classe en Angleterre, me répondit-il, qui fait des épargnes sur ses revenus ? » en effet, nous exigeons des ouvriers des vertus dont les maîtres ne donnent pas l’exemple. On veut que les classes infé-