Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manufactures, le village de Catrine, qui réunit trois mille habitans, présente les meilleures conditions de salubrité ; dans les cinq années qui avaient précédé 1839, la moyenne des décès avait été de un sur cinquante-quatre, pendant qu’elle était à Glasgow de un sur trente-un.

Voilà donc les avantages qu’un pays manufacturier semblerait devoir retirer de la décentralisation et de l’isolement des manufactures ; la santé des ouvriers s’améliorerait, et la durée de leur existence serait plus longue, quand ils pourraient, après le travail, au sortir de cette atmosphère chaude et épaisse, respirer un air pur et vivifiant et se reposer auprès de leur famille dans un logement commode, salubre et spacieux. Les mœurs n’y gagneraient pas moins, car aux tentations que fait naître le contact des sexes dans des ateliers communs ne viendraient pas s’ajouter les occasions de mal faire et les incitations du dehors. En outre, la population, contractant des habitudes sédentaires, perdrait le caractère d’une horde de nomades, pour prendre celui d’une société civilisée. Il se passerait quelque chose d’analogue à l’établissement des barbares dans l’empire romain, et l’ordre social, un moment troublé par ce déplacement perpétuel des existences dans l’industrie, retrouverait bientôt son équilibre et son aplomb.

Mais il ne faut pas croire que cette transformation purement extérieure porte remède à tous les maux. Le travail manufacturier a ses conséquences nécessaires comme le travail des champs. L’homme, quand il applique ses forces à la culture du sol, étant exposé aux variations de la température, succombe quelquefois dans cette lutte contre les élémens qui doit cependant le fortifier et l’endurcir. Une industrie exercée à couvert le garantit des maladies soudaines et violentes, mais elle énerve aussi et détend sa constitution. Bien que l’on ait introduit dans les manufactures une ventilation plus parfaite, le corps humain ne s’accommodera jamais de cette réclusion prolongée pendant quatorze ou quinze heures par jour, et si l’occupation devient héréditaire, la race finira toujours par s’affaiblir. Joignez à cela que l’industrie manufacturière, dans toute branche du travail, renferme certaines opérations qui affectent directement et immédiatement la santé des travailleurs. Les ouvriers employés au cardage du coton doivent changer fréquemment d’atelier et d’emploi, sous peine de tomber en peu de temps dans le marasme et la phthisie. Il en est de même dans les opérations de blanchissage et de teinture, dans la préparation des métaux. Certains travaux agissent comme un empoisonnement à jour fixe, et quand un ouvrier les entreprend, on pourrait marquer à l’avance le terme de sa vie. A Sheffield, un émouleur