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altérant la qualité des marchandises qu’il vend aux ouvriers. M. Ferrand en a cité, devant la chambre des communes, des exemples qui n’ont pas été démentis[1].

Le système de troc est d’un usage à peu près universel en Angleterre : les forges et les poteries du Staffordshire le pratiquent aussi bien que les mines du pays de Galles et du comté de Durham ; il est employé dans les fermes de l’Écosse et du Northumberland comme dans les manufactures du Lancastre, et, pour reproduire une observation de sir Robert Peel, le gouvernement y a lui-même recours, puisqu’il habille et nourrit les soldats ainsi que les matelots. En Écosse, les propriétaires eux-mêmes reçoivent une partie dii fermage en nature ; le prix est stipulé moitié en argent, moitié en blé. Les bergers des monts Cheviots sont payés en gruau, en farine et en autres denrées. Dans certaines manufactures, les ouvriers qui demandent à recevoir leur salaire en monnaie et non en farine, en viande ou en épiceries, sont à l’instant renvoyés. On pointe leurs noms sur un livre noir qui circule parmi les fabricans confédérés, et s’ils veulent trouver de l’ouvrage, il faut qu’ils changent de district. Dans quelques mines du Staffordshire, les ouvriers ne sont payés que tous les mois ; en attendant le paiement, on leur donne des bons au moyen desquels ils obtiennent les choses nécessaires à la vie en les achetant 25 pour 100 au-dessus du cours. D’autres manufacturiers prennent à bail un certain nombre de petites maisons ou cottages, qu’ils obligent ensuite les ouvriers à sous-louer, en réalisant sur ces marchés un bénéfice annuel de 50 à 75 pour 100. Quelquefois les fabricans ne craignent pas de traiter avec la faim de leurs ouvriers comme les usuriers parisiens traitent avec la prodigalité des fils de famille. A Sheffield, un fabricant fut condamné à l’amende par les magistrats pour avoir contraint un ouvrier à recevoir en paiement, à raison de 35 shillings le yard, une pièce de drap qui valait 11 shillings. D’autres, quand leurs employés demandent des avances, les font à raison de 5 pour 100 par semaine. On en a vu qui fournissaient les cercueils à la mort des ouvriers, et qui trouvaient dans cette ignoble spéculation matière à bénéfice. Dans le district des poteries, les maîtres allaient jusqu’à désigner aux ouvriers les places que ceux-ci devaient occuper dans les chapelles, et déduisaient le prix de ces places du salaire qui devait leur revenir. Ces abus sont récens ; mais ils n’approchent pas de l’état de choses qui

  1. Séance du 19 avril 1842.