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pussent se réunir et nommer un agent qui serait chargé d’acheter en gros le thé, le sucre, le lard et autres objets nécessaires, et qui les leur vendrait en détail à des prix tels qu’ils pussent couvrir le prix d’achat en gros et la dépense de l’agent employé. Si cette opération pouvait être dirigée par une commission nommée par les ouvriers et aidée peut-être de l’avis du maître, et si, de plus, l’agent se trouvait intéressé par son mode de rétribution à acheter des marchandises de bonne qualité, une combinaison semblable serait avantageuse. » La combinaison que propose M. Babbage a été essayée à Belper dans l’établissement de M. Strutt, en observant les principes qu’il établit ; voici, selon le docteur Ure, quels en ont été les effets : « Il y a quelques années, plusieurs ouvriers formèrent une société coopérative dans le but d’acheter en gros les provisions ainsi que les étoffes qui leur étaient nécessaires, et de s’approprier de cette manière les bénéfices faits par le détaillant. L’association reçut le concours des propriétaires, dont l’un voulut même entrer dans le comité d’administration. Pendant quelque temps, le succès parut certain : les marchandises étaient achetées au comptant et en apparence au plus bas prix, on les distribuait entre les sociétaires selon leur désir et dans la proportion de leurs ressources, les bénéfices étaient répartis entre eux à la fin de l’année, et couvraient souvent pour chacun d’eux ses frais de loyer ; mais bientôt des abus, que l’on n’avait pas prévus, commencèrent à se révéler. Des marchands, qui voyageaient pour obtenir des commandes, trouvèrent leur avantage à donner un pot de vin au secrétaire ou au trésorier pour obtenir la préférence dans la vente des articles. Des soupçons et des différends ne tardèrent pas à s’élever. Le comité, bien qu’il fût choisi librement parmi les ouvriers, se recrutait naturellement parmi les plus capables, tels que les contre-maîtres de la manufacture, et ses pouvoirs étaient prolongés d’année en année. Il arriva ainsi que plusieurs se mirent à étudier leur intérêt personnel bien plus que celui de l’association ; en fait, les marchés à contracter pour l’association ou pour eux-mêmes commencèrent à occuper leur pensée au détriment des devoirs de chaque jour. Cependant la conséquence la plus fâcheuse de ce système fut qu’il fit perdre aux ouvriers l’habitude de disposer de l’argent qu’ils devaient recevoir pour leur salaire, ce salaire étant absorbé, à mesure qu’il devenait exigible, par la boutique coopérative, où l’on prenait des articles qui n’étaient pas strictement nécessaires, et que l’on aurait certainement laissés de côté, s’il avait fallu les payer en espèces. Les ouvriers les plus intelli-