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de Portugal à se déclarer en leur faveur et à fermer ses ports à l’Angleterre, sous peine d’être traité en ennemi ; ils exigeaient une réponse dans le plus bref délai. Le ton de leur demande annonçait qu’ils s’attendaient moins à une adhésion qu’à un refus. Pombal répondit avec noblesse et modération : il réclama la neutralité du Portugal. Tandis qu’il opposait le raisonnement au parti pris, les troupes d’Espagne franchissaient la frontière, annonçant qu’elles ne venaient pas attaquer les Portugais, mais les délivrer du joug britannique. Pombal, à cette nouvelle, se livra à un de ces mouvemens de fierté qui plaisent dans l’homme d’état, parce qu’ils prouvent que la tête n’exclut pas toujours le cœur. Dénué de tout, sans moyen de défense, surpris à l’improviste, il n’attendit pas le manifeste de l’Espagne ; le premier, il déclara la guerre. Malgré une dissidence plus apparente que réelle, les secours de l’Angleterre ne pouvaient lui manquer ; il les réclama. Ainsi d’un côté étaient la France et l’Espagne, de l’autre le Portugal et la Grande-Bretagne. Les mesures de la défense furent mieux prises que celles de l’invasion. Pombal déploya une grande activité, il releva l’esprit militaire qu’il avait lui-même contribué à abattre. Cette guerre, mal commencée par l’armée gallo-hispanique, n’eut qu’une assez courte durée, et le Portugal, qui depuis quelques années avait occupé l’Europe, retomba dans son silence accoutumé. L’attention publique se reporta ailleurs[1].

II.

Au bruit de la chute des jésuites dans une contrée lointaine, leurs ennemis s’étaient partout éveillés. On s’étonna, en France, de la facilité avec laquelle l’ordre avait subi son arrêt. Le défaut de résistance enhardit l’inimitié. Jusqu’alors, la réputation d’habileté des révérends pères avait été pour eux en France la plus puissante des protections : personne n’avait voulu ouvrir la brèche contre eux ; mais lorsqu’on les vit se rendre sans combattre, lorsque la rupture d’une petite cour avec le saint-siége se fut bruyamment déclarée à leur occasion sans amener aucun trouble, sans avoir même causé une sensation profonde, il arriva ce qu’on remarque souvent dans les choses humaines : la probabilité du succès doubla le nombre des adversaires. Il ne fallait qu’une occasion, et, par une autre loi de l’humanité, l’occasion ne se fit pas

  1. Manuscrits de Fr.-Em. comte de Saint-Priest, ambassadeur et ministre sous Louis XV et Louis XVI.