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erreurs qui ont envahi le monde ; elle accuse les sept jours de tous les maux et de toutes les sottises du genre humain. Il va sans dire que Bettina, dans sa critique du dogme, ne part d’aucun principe et ne se place à aucun autre point de vue que celui de son propre caprice. Elle ne démontre rien ; elle affirme. Elle ne cherche pas à convaincre, mais à éblouir ses adversaires, et, pour mieux en venir à bout, elle leur jette à la face des poignées de poussière ramassée sur tous les chemins et dans tous les sentiers du XVIIIe siècle. Mme d’Arnim possède au suprême degré l’aplomb complaisant que donne l’ignorance des choses déjà dites ; elle répète donc et donne comme siennes de grossières railleries sur les mystères de la foi, dont le moindre tort est d’être devenues extrêmement banales. Tout lui est bon, rien ne répugne à son goût d’écolier ; les plaisanteries semblent lui plaire, la ravir, en raison même de ce qu’elles ont de brutal et de vulgaire. Lorsque Mme d’Arnim pense avoir détruit sous ses coups tout l’édifice de la théologie chrétienne, elle abandonne la Bible et se lance bride abattue à travers tous les systèmes du jour, qu’elle salue en passant du geste et de la voix. Toutes les idées qui s’agitent aujourd’hui dans le monde, le saint-simonisme et le fouriérisme, l’excellence des penchans, la possibilité pour l’homme d’acquérir des sens nouveaux dans un avenir de perfectibilité indéfinie, la justification ou plutôt la négation du mal, le droit de punir contesté à la société, le travail attrayant, et jusqu’à la notion hégélienne du devenir, tout cela apparaît et disparaît presque aussitôt à l’horizon de sa fantaisie.

Napoléon préoccupe aussi Mme d’Arnim, car elle est de nature ailée et bourdonnante : tout ce qui est lumière et flamme l’attire. L’appréciation qu’elle fait de l’empereur, son intention très marquée de le présenter au roi de Prusse comme un exemple de ce qu’il doit faire et de ce qu’il doit éviter, nous paraissent assez curieuses pour que nous n’hésitions pas à citer ici les lignes enthousiastes qu’elle lui consacre. L’empereur a traversé Francfort ; Bettina l’a vu ; le regard de Napoléon a percé son ame de part en part. Elle pense qu’il faudrait l’avertir qu’il court à sa perte ; elle veut le suivre, s’attacher à ses pas, devenir son bon ange, le sauver. La conseillère n’est point de cet avis. L’humanité n’est pas mûre, pense-t-elle, pour les grandes choses que Napoléon devrait accomplir… « C’est l’humanité qui l’entraîne encore plus que son propre orgueil. Si ce qui l’entoure, si son temps avait en soi la grandeur, cette grandeur se serait nécessairement exprimée en lui. Non, il n’aurait pas pu saisir le mal, si la grandeur s’était montrée à lui avec puissance dans le miroir du monde…