Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/349

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
343
LE SALON.

gracieux et élégans Fonts baptismaux de M. Jouffroy, que le livret a tort d’appeler un baptistère, car le baptistère est le lieu où l’on administre le baptême, et non pas la cuve ou le bassin qui contient l’eau qui sert à baptiser. Le groupe des trois jeunes enfans adossés est un motif qui, pour avoir été souvent traité, conserve encore toute sa naïveté et sa fraîcheur. En art, les idées les plus rebattues sont au fond les meilleures. Tout gît dans l’exécution. Le talent de M. Jouffroy, qui nous avait paru, dans sa figure de la Désillusion, s’égarer à la poursuite de je ne sais quel idéal romanesque, radicalement antipathique à la sculpture et à ses propres instincts, est rentré ici dans le grand chemin de cet art franc du ciseau, qui n’entend rien aux subtilités, et qui ne doit songer à exprimer d’autres idées que celles qu’il peut faire toucher. Il nous a donc mis cette fois entre les mains trois petits corps enfantins, bien gras, bien fins, bien souples, surmontés de trois têtes joufflues, gracieuses et naïves, qu’on est tenté de caresser. On a en revanche une disposition toute contraire à l’égard de ce marmot voisin (no 2245, M. Jehotte), qui rechigne si disgracieusement dans sa lutte avec un petit chien, caricature de Boucher, entremêlée de quelques réminiscences de l’Enfant à l’oie. Nous allions oublier de dire, à l’endroit des Fonts de M. Jouffroy, que le livret attribue à Mme de Lamartine la composition originale de ce morceau. Cette explication n’est pas assez claire pour nous apprendre au juste quelle est la part de chacun des auteurs dans cette œuvre, et par conséquent dans quelle proportion on doit les louer, mais il suffit que nous sachions que c’est M. Jouffroy qui a exécuté, pour n’avoir pas à craindre d’avoir mal distribué nos éloges.

Nous avons pris au premier abord le portrait en pied de miss Adélaïde Kemble (de M. Dantan jeune) pour la muse de la tragédie. Ce n’est que la muse de l’opéra-seria, en costume de Norma. L’explication nous a gâté cette figure. Il est désagréable de prendre une prima donna pour une déesse, et une défroque de théâtre pour la tunique et la chlamyde de Melpomène. M. Dantan a probablement éprouvé les mêmes préoccupations en modelant sa statue ; car, gêné apparemment par la difficulté de réunir dans sa figure les caractères individuels d’un modèle réel, miss Kemble, ceux d’un personnage fictif, la Norma, et enfin ceux d’un personnage idéal, la Muse, il n’a produit qu’un être équivoque qui n’est, en définitive, ni la femme, ni l’actrice, ni la déesse, quoiqu’il prétende réaliser cette trinité. Avec toute son habileté, M. Dantan ne pouvait guère faire mieux sur un thème aussi embrouillé. Nous recommanderons avec plus de confiance ses bustes-