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que sorte par un récent arrêt des tribunaux. La commission qui le dirige, et qui est choisie parmi les associés à la majorité des voix, est investie d’une véritable dictature : elle se substitue aux auteurs, remplace leur volonté individuelle par son influence collective, et dirige exclusivement presque toutes leurs transactions. Composée de pairs, de députés, d’écrivains en renom, soutenue par la presse la plus hardie et la plus caustique, elle fonctionne comme un tribunal suprême, et juge sans appel toutes les questions dramatiques.

Le vœu des législateurs de 1791 était de consacrer une indépendance féconde, une égalité équitable entre les écrivains et ceux qui exploitent leurs œuvres. À cette époque, le nombre des spectacles n’était pas limité : on pouvait concevoir que la liberté des transactions existât dans le domaine théâtral comme dans les divers genres d’industrie. L’équilibre fut rompu par le décret impérial de 1808, qui constitua un monopole en faveur d’un petit nombre de directeurs privilégiés. Dès-lors, les écrivains ne pouvaient plus profiter de la concurrence des directeurs, de même que ceux-ci entendaient profiter de la concurrence des auteurs. On conçoit que la littérature, justement alarmée, se soit mise en mesure de défendre ses droits. Malheureusement les gens de lettres ne surent pas résister à la tentation d’abuser de leur pouvoir, et, à force d’empiétemens, ils en sont venus à constituer un despotisme inique, une coalition dans le genre de celles que la loi pénale atteint quand elles se produisent dans la sphère des spéculations industrielles. Aujourd’hui, la société des auteurs défend à ses membres de faire des traités particuliers à des conditions inférieures à celles qui sont fixées par les traités généraux qu’elle impose : exiger davantage est permis ; se contenter de moins est une infraction punie par une amende de 6,000 fr. Si un théâtre refuse d’accéder aux demandes de l’association, il est mis en interdit, c’est-à-dire que la commission directrice retire à la fois, à jour fixe et sans exception, toutes les pièces des auteurs qui ont adhéré à ses statuts. Sa décision est obligatoire pour tous ses membres, sous la même peine de 6,000 fr. d’amende. Il y a plus : les agens dramatiques qui entretiennent des correspondances dans toutes les villes pour y surveiller les intérêts des auteurs sont considérés par l’association comme ses mandataires spéciaux. Les écrivains qui se placeraient en dehors de la société ne pourraient obtenir l’intervention de ces agens, et il ne leur resterait plus aucun moyen d’opérer le recouvrement de leurs droits en province. Cette combinaison enserre tous les auteurs dramatiques dans le réseau d’une étroite solidarité. Un théâtre ne se trouve jamais en