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LES THÉÂTRES.

plus étroitement dans la main du gouvernement, sont assujétis à fournir des loges et des entrées gratuites, sans nécessité bien démontrée. Obtenir les plaisirs du spectacle sans les payer est un signe d’influence, un témoignage de crédit. Des loges accordées à de hauts fonctionnaires, en vue du service public, passent de main en main, et procurent pour rien les meilleures places à une succession de curieux dépourvus de tout caractère officiel, et qui se gardent bien, dans la prévision de cet avantage, de jamais retenir leur place au bureau de location. On a calculé les pertes qui résultent de ces complaisances ; elles sont énormes. Le ministre de l’intérieur a une loge par jour à chacun des cinq théâtres royaux ; la préfecture de police et celle du département se partagent environ quinze loges par jour aux divers théâtres ; les officiers inférieurs de la police n’en ont pas moins leurs entrées personnelles. À ces concessions perpétuelles il faut ajouter les demandes particulières qu’il est à peu près impossible de repousser. Napoléon, pour qui le gouvernement était un art, agissait d’une autre façon. Un jour, en l’an XI, on lui soumit l’état des loges occupées à l’Opéra par ce qu’on appelait les autorités constituées. Sur cette liste figuraient les trois consuls, le secrétaire d’état, les ministres de l’intérieur et de la police, le secrétaire du ministère de l’intérieur. Il prend la liste et écrit au bas ; « À dater du 1er  nivôse, toutes les loges seront payées par ceux qui les occupent. » Pareille chose fut faite pour le Théâtre-Français. En 1807, la mesure fut généralisée par un arrêté où on lit ces paroles : « Personne n’a le droit de jouir gratuitement d’un amusement que l’entrepreneur vend à tout le monde. Les autorités n’exigeront donc d’entrées gratuites que pour le nombre d’individus jugés indispensables pour le maintien de l’ordre et de la sûreté publique. » En gouvernant ainsi, on domine plus sûrement les hommes qu’en les comprimant dans les entraves d’une bureaucratie exigeante et taquine.

Tant d’abus ont porté leurs fruits. L’art dramatique traverse présentement une crise douloureuse et menaçante pour son avenir. L’esprit de négoce a tué chez les poètes l’enthousiasme du talent. La plupart d’entre eux ont fait de leur esprit un gaspillage impie. Après de brillans débuts, on les a vus descendre degré par degré jusqu’aux scènes infimes, déserter le théâtre pour le feuilleton qu’un spéculateur couvre d’or, et puis reprendre ces feuilletons qui ont repu le vulgaire pour les découper en mauvais drames. Les bons comédiens deviennent chaque jour plus rares : aucune mesure n’est prise pour remplacer ceux qui s’éteignent. Les belles productions de notre an-