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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

losophes ne lui ont pas épargné le blâme, les amis de la société lui ont dressé des autels. De part et d’autre, on s’est trompé. Pour sauver l’autorité de Rome, la temporisation était désormais impuissante. Clément XIII était un pape du XIIe siècle égaré dans le XVIIIe. Sous son pontificat, la puissance du saint-siége finissait dans l’ombre. Ce vieillard n’a pu supporter cette humiliation. Il a essuyé l’insulte, il ne l’a pas acceptée. Au lieu de se borner à la résistance, il a été assez aveugle pour donner le signal de l’attaque, et dans la résistance même il n’a montré ni prévoyance, ni intelligence, ni adresse ; mais à défaut de tête, il avait du cœur. Il fut toujours médiocre, jamais méprisable. Il ne protégea point les arts, et les arts l’ont protégé. Le mausolée de Clément XIII, érigé par ses neveux dans la basilique de Saint-Pierre, reproduit son attitude pieuse et ses traits vénérables. Des lions sont à ses pieds ; flatterie posthume, symbole d’une force que le pontife rêva toujours et ne réalisa jamais. La statue de la Religion, qui le soutient, présente une image plus fidèle. Canova lui a donné des formes lourdes et gothiques comme les priviléges surannés que Clément XIII voulut en vain ressusciter et défendre.

Clément XIII à peine expiré, les ambassadeurs de France et d’Espagne résolurent de se rendre maîtres du conclave. Ils proclamèrent à haute voix la nécessité d’élire un pape agréable aux couronnes, et n’admirent pas la possibilité d’une résistance. Leur projet n’était pas d’une exécution facile. La vacance du saint-siége venait les surprendre au moment où ils s’y attendaient le moins. À force de prévoir et d’annoncer la mort de Clément XIII, ils avaient fini par n’y plus arrêter leur pensée. Cet évènement dérangeait tous leurs plans d’attaque. L’ambassadeur de France surtout se trouvait dans une situation embarrassante. Les instructions de sa cour, dans le cas qui se présentait alors, ne manquaient ni de clarté, ni d’énergie : elles prescrivaient au marquis d’Aubeterre une action immédiate et positive sur le sacré collége ; mais ce diplomate n’avait aucun moyen pour l’exercer. Si la France comptait à Rome plusieurs pensionnaires, elle n’y avait pas un ami. Ceux qui puisaient le plus largement dans son trésor prenaient à peine le soin de déguiser leur aversion. Honteux de voir leur vote à l’enchère et trop avides pour renoncer à se vendre, ils croyaient se réconcilier avec l’honneur en trahissant l’étranger qui les achetait. D’un autre côté, le général des jésuites possédait toutes les ressources dont le représentant de Louis XV était entièrement dépourvu ; il ne tenait qu’à lui de s’en servir pour précipiter l’élection.