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LA TURQUIE. — SMYRNE.

ce qu’a de particulier la question qui nous occupe, il faut en écarter les influences du temps et des grands évènemens politiques, la saisir dans une période de paix et de courte durée. Aussi, sans chercher à établir, à une époque éloignée, sur des données confuses, une appréciation commerciale qui ne saurait être positive, nous prendrons Smyrne au moment où, après la commotion générale, l’ordre se rétablit, et les intérêts reprirent leur cours. Les guerres de l’empire avaient fermé la Méditerranée au commerce européen, et le manque de sécurité avait arrêté pendant plusieurs années toutes les spéculations considérables. Quelques bâtimens italiens et des caïques grecs se livraient à peu près seuls dans le Levant, malgré la terreur générale et la hardiesse des pirates barbaresques, à des opérations de cabotage. En 1816, après le rétablissement définitif de la paix, quand Smyrne put de nouveau ouvrir son port aux marines étrangères, son commerce extérieur présentait le total bien diminué sans doute, mais important encore, de 70  millions. Depuis cette époque, les intérêts commerciaux se sont partout affermis ; l’activité mercantile, croissant toujours, a donné aux opérations une extension immense ; la navigation à vapeur a diminué les distances, l’Orient s’est rapproché de nous ; cependant, chose étrange, l’amoindrissement du commerce de Smyrne a été continu. Les 70 millions se sont peu à peu réduits. 42 millions est le total que donnent au mouvement de Smyrne, pour l’année 1842, les documens les plus authentiques[1].

Plusieurs causes ont amené cette décadence, dont on connaît maintenant le chiffre. — Autrefois le commerce était libre en Turquie, et, tant que les sultans restèrent fidèles à l’ancien système religieux et politique, ils ne grevèrent d’aucune taxe, d’aucune vexation fiscale, la circulation intérieure des marchandises. Les grandes caravanes erraient librement dans les déserts de la vieille Asie, et le gouvernement n’arrêtait par aucune entrave ces hardis voyageurs qui, au mépris de périls sans nombre et de toute nature, entreprenaient d’immenses pérégrinations pour aller recueillir dans de lointaines contrées les objets nécessaires à l’existence ou au bien-être de leurs frères. À ces entreprises les populations reconnaissantes venaient en aide autant qu’elles le pouvaient, et la piété des particuliers élevait dans le désert, sur les lignes que suivaient les caravanes, d’élégantes fontaines et de nombreux

  1. Les négocians de Smyrne donnent, je le sais, un autre chiffre. Il est inutile de rechercher s’ils ont tort ou raison. Ce n’est pas la quotité des totaux qui importe, c’est la proportion. Or, cette proportion est à peu près la même dans le calcul des marchands et dans le nôtre.