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LA TURQUIE. — SMYRNE.

des priviléges accordés à notre industrie, rendaient chez nous la production moins coûteuse, si l’on réformait les quarantaines[1], si l’on encourageait en France le transit des marchandises étrangères, les marchés du Levant pourraient encore être ouverts à nos produits, ses ports à nos navires, et ses provenances, affluant dans nos provinces du Midi, se répandraient dans tout le royaume pour atteindre par la plus courte voie l’Angleterre, l’Allemagne, la Suisse, surtout les pays du Nord. Marseille, à qui l’Algérie a fait oublier la Turquie, gagnerait à un pareil ordre de choses de voir se doubler le mouvement déjà si considérable de son port. Du double transit, la France retirerait tous les avantages attachés à une grande circulation. Dans le Nord, elle se créerait des relations commerciales nouvelles auxquelles elle ne songe pas, et elle retrouverait, en Turquie, d’anciennes voies qu’elle a abandonnées.

III.

Les Européens fixés à Smyrne abandonnent la ville pendant l’été et vont chercher un peu d’air à la campagne. J’avais souvent entendu parler des environs de Smyrne. Je résolus un jour de les visiter. Ayant toujours eu en horreur les ciceroni, je partis seul, à cheval, un beau matin, muni seulement de quelques notions topographiques indispensables, et décidé à faire sans guide une course aventureuse. Laissant à ma droite la hauteur que domine le vieux château turc, dont les fondemens ont été jetés, dit-on, par Alexandre-le-Grand, je gravis la colline sur laquelle la ville s’étage, et, après une heure de marche, je vis s’ouvrir devant moi cette steppe immense qu’on nomme la plaine de Boudja. C’est un désert magnifique, une de ces solitudes impo-

  1. Nous n’en finirions pas, si nous voulions montrer, par tous les faits qui sont à notre connaissance, jusqu’où l’on pousse, en France, l’absurdité en matière de quarantaines. Voici, entre mille, un renseignement curieux donné, il y a peu de jours, à la Société orientale de Paris par M. le comte de Saint-Céran : « Les plus honorables négocians d’Odessa affirment que les navires ayant chargé dans le port d’Odessa et touché à Constantinople, en arrivant en Belgique ou en Angleterre, débarquent immédiatement leurs grains et leurs laines. — Le lendemain, par le chemin de fer belge, les laines peuvent être à Paris. — Tout au contraire, les navires ayant chargé à Odessa, sans avoir touché à Constantinople, sont soumis, en arrivant au Havre, à vingt jours de quarantaine. — Immense avantage pour la Belgique : elle peut nous expédier les laines dix-huit jours avant les négocians du Havre et aux mêmes prix. »