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où la civilisation et le raffinement se mettent en contact avec la barbarie, une loi supérieure n’empêche l’application des règles pratiquées à l’égard des nations plus avancées. » Lord John Russell a protesté légèrement contre cette morale un peu aisée ; mais d’accord avec sir Robert Peel sur le fond des choses, il s’en est remis à la discrétion du gouvernement, qui venait de s’engager à pourvoir avec libéralité à l’entretien des émirs dépossédés. Soixante-huit membres seulement ont voté pour la motion de lord Ashley, qui a été repoussée par 202 voix.

Ce n’est pas tout. Sir Robert Peel n’a pas même voulu laisser la conduite de sir Charles Napier sous le poids des reproches de lord Ashley, et huit jours après, le 12 février, il a proposé à la chambre des communes de décerner publiquement au conquérant du Scinde et à son armée des éloges sur leur belle conduite militaire dans les batailles de Meani et d’Hyderabad. Le premier ministre anglais, se servant, en cette occasion, d’un détour semblable à celui qui devait être employé à la fin de février, à la tribune française, dans le but tout contraire de désavouer notre agent à Taïti, a commencé le discours qu’il a prononcé pour développer sa proposition, en déclarant qu’il n’entendait nullement impliquer dans le vote qu’il demandait à la chambre l’approbation de la politique du gouvernement de l’Inde, politique qu’il se disait d’ailleurs prêt à défendre complètement, si l’on voulait fixer un jour pour la discuter. Sir Robert Peel s’étendit avec emphase sur les brillantes qualités militaires déployées par le général Napier ; il énuméra ses anciens faits d’armes pendant les campagnes d’Espagne, dont son frère, officier également distingué, a écrit une histoire très estimée ; il rappela aussi les exploits d’un autre parent du général, le commodore Napier, celui qui a bombardé Beyrouth et dirigé les hostilités contre Méhémet-Ali en 1840, et qui siége aujourd’hui à la chambre des communes. Lord John Russell, lord Palmerston, vinrent joindre leurs voix à celle de sir Robert Peel dans cette déclamation élogieuse, et la chambre entière, sauf neuf membres, vota en effet au général qui a étendu les frontières de l’Asie anglaise au-delà de l’Indus, en dépossédant les émirs, l’expression de la gratitude nationale.

Certes, il ne peut entrer dans notre pensée d’établir un rapprochement sérieux entre les mesures accomplies par les agens anglais dans le Scinde et celles que l’amiral Dupetit-Thouars a cru devoir prendre à Taïti. Dans le Scinde, le protectorat n’avait été imposé que dans un intérêt purement anglais, uniquement parce que l’Angleterre avait besoin, pour aller à Caboul, de la route de l’Indus, sans que les émirs