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disposition ces machines dispendieuses et compliquées dont la construction et les réparations exigeraient un capital considérable. Il arrive ainsi fréquemment que des hommes qui étaient partis de bien bas s’élèvent à une situation aisée et indépendante.

« Un autre avantage du système domestique consiste en ceci, qu’un temps d’arrêt dans le commerce extérieur, une faillite, une crise n’a pas pour effet nécessaire de priver de travail un grand nombre d’ouvriers. La perte s’étend à une plus grande surface, elle affecte le corps entier des fabricans, et quoique chacun d’eux puisse en souffrir, bien peu, s’il en est quelqu’un, éprouvent une secousse assez forte pour être entièrement ruinés. Il paraît même que, dans les mauvais jours, ils ne renvoient pas leurs journaliers, et qu’ils continuent le travail en attendant des temps meilleurs.

« Cette constitution de l’industrie a pour effet d’accroître le nombre des marchands, en leur permettant de se livrer au commerce avec un capital moindre que s’ils avaient à fabriquer eux-mêmes le drap ; car il faudrait, dans le système contraire, dépenser en bâtimens et en machines des sommes que l’on ne pourrait plus recouvrer, et, ce qui est une considération encore plus décisive, s’exposer aux embarras, à la sollicitude qu’entraîne la surveillance d’un grand nombre d’ouvriers. Il faudrait faire l’avance d’articles manufacturés qu’on serait ensuite obligé, à la première variation des prix, de garder en magasin ou de vendre à perte. Dans l’état actuel de la fabrique, le marchand peut traiter avec le consommateur du dedans ou du dehors pour telle ou telle quantité de marchandises. Que la demande soit prévue ou soudaine, il n’a qu’il se transporter sur le marché, où il commande et fait exécuter à bref délai les articles qui lui manquent. En fait, des négocians qui disposent d’un capital considérable et d’un très grand crédit ont continué ainsi, de génération en génération, à faire leurs achats dans les halles, et non-seulement ils n’ont pas eu la pensée d’établir des manufactures, mais ils estiment encore que la plupart des manufacturiers ont peu d’attachement pour leur industrie, et n’y persistent que pour utiliser le capital représenté par leurs établissemens.

« Dans ces circonstances, la crainte de voir décliner le travail domestique peut raisonnablement nous surprendre. Cette crainte a sans doute été excitée par l’émigration de quelques maîtres fabricans qui ont quitté les environs de Leeds pour aller se fixer dans les districts ruraux.

« Les manufactures, dans une certaine mesure du moins, sont absolument nécessaires à la prospérité du système domestique ; elles l’emplissent des fonctions auxquelles ce système, on doit le reconnaître, ne semble pas naturellement destiné. Il est évident que le petit fabricant ne peut pas, comme celui qui possède d’immenses capitaux, faire les expériences ou s’exposer aux risques et même aux pertes qui sont inhérens à l’invention de nouveaux produits ou au perfectionnement des produits déjà inventés. Il ne saurait avoir une connaissance personnelle des besoins, des habitudes, des