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l’ouvrier obtient 11 shell. par semaine, pendant que le tisserand domestique n’en peut réaliser que 7[1].

La révolution qui a substitué, dans le tissage du coton, le métier mu par la vapeur ou par une force hydraulique au métier que le bras de l’homme faisait mouvoir, n’a eu que des résultats heureux. Le travail en famille aurait disparu sans cela, vaincu par cette puissance d’attraction qui entraînait les ouvriers vers les manufactures ; ce n’est donc pas le tissage mécanique qui l’a détruit. Comme, en diminuant les frais de la production, l’on a augmenté la demande des produits, le nombre des travailleurs n’a pas pu se réduire. Enfin, l’on n’a pas supplanté une classe d’ouvriers par une autre ; car, avant l’invention du tissage mécanique, les femmes et les enfans étaient déjà employés à tisser le coton.

L’application de la vapeur au tissage de la laine aura de tout autres conséquences ; sans aller plus loin, il en résultera une réduction dans les salaires et un déplacement du travail. Jusqu’à présent, le salaire des ouvriers drapiers excède notablement celui des ouvriers en coton et en fil, souvent même celui des ouvriers en soie. Un tisserand dans les manufactures de Leeds gagne autant qu’un fileur dans celles de Manchester[2]. La supériorité des fabriques de draps, sous le rapport du salaire, est la même en France. M. Grandin déclarait, dans l’enquête de 1834, que la journée de treize heures effectives rendait aux tisserands d’Elbeuf 3 à 4 francs par jour, et un filateur de laine établi à Paris, M. Griolet, affirmait que ses ouvriers obtenaient, selon leur habileté et leur application, depuis 3 francs jusqu’à 10 francs par jour.

On se rendra aisément compte de ce fait, si l’on considère que le travail, dans les tissus de laine, exige un déploiement de force musculaire qui en écarte les femmes et les enfans. Le métier a généralement plus de largeur, et il est beaucoup plus lourd que celui qui s’applique au tissage des étoffes étroites en soie ou en coton. « Le tissage du drap est un ouvrage d’homme, » disait un fabricant de Leeds à M. Chapman. Or, il est d’expérience que le salaire, tout en exprimant le rapport qui existe entre l’offre et la demande du travail, se mesure aux besoins de la classe la plus infime des travailleurs. Le simple journalier se trouvant en France au bas de cette échelle, c’est le prix de sa journée qui détermine le taux des salaires. En Angleterre, la classe des tisse-

  1. Hand-loom weavers inquiry. — Report of M. Chapman on Yorkshire.
  2. La moyenne du salaire dans la maison Bramley est de 18 shell.d. par semaine.