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généraux, l’on reconnaît cependant que la valeur des tissus exportés a éprouvé une certaine diminution, mais que celle des filés s’est régulièrement accrue.

Au reste, il ne faut pas restreindre cette observation à la manufacture de laine ; les faits prouvent qu’elle doit s’étendre également au travail du fil et du coton. Dans ces branches diverses de l’industrie, l’Angleterre, malgré les plus grands efforts, n’a pas conservé tous les débouchés ouverts à ses tissus ; mais, en revanche, elle a peu à peu inondé de ses filés les deux continens. En sept années, le progrès de ses exportations a été, pour les filés de coton, de 26 pour 100, pour les filés de laine de 80 pour 100, et de plus de 300 pour 100 pour les filés de lin. Voici le tableau de cet accroissement :

COTON FILÉ. LAINE FILÉE. LIN FILÉ.
1836. 6,120,366 liv. st. 358,690 liv. st. 318,772 liv. st.
1837. 6,955,941 » 479,307
1838. 7,431,869 384,535 746,163
1839. 6,858,193 423,320 818,485
1840. 7,101,308 452,957 822,876
1841. 7,266,968 552,148 972,466
1842. 7,771,464 637,305 1,025,551

On conçoit que les autres états de l’Europe puissent lutter avec l’Angleterre dans le bas prix des tissus ; car, la valeur des tissus dépendant surtout du taux de la main-d’œuvre, la lutte entre les ouvriers des diverses contrées devient une affaire de privations. Or, l’ouvrier anglais n’a pas autant de patience que d’énergie, et il ne s’imposera jamais de son propre mouvement les souffrances qu’endure l’ouvrier flamand ou l’ouvrier saxon. « L’ouvrier saxon, dit M. Carnot[1], est pauvre et laborieux ; il vit de privations et travaille jusqu’à seize heures sur vingt-quatre ; sa nombreuse famille l’aide incessamment. C’est en produisant une masse incroyable de travail que tout ce monde parvient à se couvrir misérablement et à manger quelques pommes de terre. » Le docteur Bowring va plus loin : « Partout, dit-il, où une machine manœuvrée par un seul individu et sous le toit de cet individu représente le dernier progrès des arts mécaniques, l’ouvrier anglais ne peut pas entrer en concurrence avec l’ouvrier allemand. »

Mais dans la filature, comme la supériorité industrielle dépend du génie mécanique, de l’audace du spéculateur et de la puissance des capitaux, l’Angleterre doit avoir l’avantage sur les autres peuples.

  1. Lettre à M. le ministre du commerce.