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est bâti dans un site qui pourrait être riant, au confluent de l’Aire et du canal qui, après avoir traversé le comté de Lancastre, unit l’Aire à la Mersey, et la mer du Nord à la mer d’Irlande : la ville s’élève en pente douce sur un coteau, position qui se prêterait à merveille à l’écoulement des eaux et à la ventilation des rues ; mais l’agglomération de tant d’usines sur un espace comparativement étroit s’oppose à toute espèce d’embellissement et devient une cause permanente d’insalubrité.

Le dimanche est le seul jour à Leeds où l’on puisse apercevoir le soleil. Dans la semaine et tant que fument les cheminées des manufactures, l’air, les eaux, le sol, tout est imprégné de charbon. Les rues, couvertes de cette poussière noire, ressemblent aux galeries d’une mine. La rivière épaissie n’a plus de courant pour balayer les égouts qui s’y jettent. L’atmosphère, chargée de vapeurs malfaisantes, étouffe et paralyse la végétation. Les hommes vivent ainsi sur une hauteur comme au fond d’un puits. On comprendra cela quand on saura que les seules machines à vapeur de Leeds, au nombre de 362 représentant 6,600 chevaux, consument 200,000 tonneaux de charbon par année[1]. La consommation d’eau que font les usines est telle que le petit ruisseau de Timble-Bridge, qui traverse la partie la plus peuplée de la ville, passe littéralement à travers les chaudières, et que la jouissance de ces eaux, que leur chaleur acquise rend plus susceptibles de condensation, donne lieu à de nombreux procès.

L’acte du 16 juillet 1842 arme la corporation municipale de Leeds de pouvoirs très étendus. Il dépend désormais des magistrats de cette cité d’assainir la voie publique, et de veiller à la bonne constructions des maisons. Toutefois, autant que j’ai pu en juger au mois de juillet 1843, l’état de la ville ne différait pas sensiblement de celui que l’auteur d’un travail inséré dans le Rapport sur la condition sanitaire des classes laborieuses, M. Baker, a décrit en 1841. Selon ce rapport, sur 586 rues ou impasses que Leeds renferme, la juridiction municipale n’en embrassait que 86, dont 68 seulement étaient pavées par les autorités ; on abandonnait les autres à la police individuelle des propriétaires, qui laissaient s’accumuler les cendres de coke dans les rues jusqu’à exhausser très souvent le sol de un ou deux pieds. Çà et là des mares d’une eau stagnante et fétide se formaient devant la porte des familles pauvres, qui, soit insouciance, soit désespoir, n’élevaient aucune plainte ; ailleurs c’étaient des désordres encore plus repoussans et

  1. Sanitary condition of labouring classes.