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moisson, la tâche qu’il s’agit d’accomplir n’excède pas la mesure des forces que chacun peut avoir à dépenser entre le lever et le coucher du soleil ; la santé des femmes et des enfans, qui dépérit dans les manufactures, se fortifie, selon le témoignage unanime des commissaires, dans la culture des champs ; mais si une pareille existence endurcit les muscles, elle n’est pas faite pour développer l’intelligence ni le sentiment moral. Là où les femmes partagent avec les hommes les soins de la culture, la famille se détruit ; car il faut abandonner les plus petits enfans à eux-mêmes et souvent fermer la maison. Là où les enfans passent de bonne heure au service des étrangers, aucune éducation n’est possible ; c’est en vain que l’on multiplie les écoles et que l’on perfectionne les méthodes d’enseignement, l’enfant du laboureur ne peut pas mettre à profit ces largesses de la civilisation. Dès l’âge de six ans, le fermier l’emploie, en sentinelle perdue, à faire peur aux oiseaux qui dévorent la semence ou le grain des épis ; il reste ainsi dix ou douze heures par jour éloigné de la maison paternelle, seul au milieu des champs, à un âge où la solitude n’éveille pas encore la réflexion, et pour le modique salaire de 8 p. par semaine ou de 1 sh. À dix ans, il peut déjà garder les troupeaux ou abreuver le bétail. À quatorze ans, c’est un garçon de ferme associé à tous les labeurs de l’homme fait.

La condition toute manufacturière de l’agriculture britannique se révèle principalement par deux usages qui prévalent, l’un dans les comtés du sud, et l’autre dans les comtés du nord, je veux parler du système de l’apprentissage (parish apprenticeship), et du travail par compagnies (gang system).

En France, l’administration des hospices place dans les familles des cultivateurs les enfans trouvés et les orphelins qui sont à sa charge ; en cela, elle exerce le droit de tutelle que les circonstances lui ont déféré, mais elle ne crée pas ce droit, et ne se substitue qu’à des parens inconnus ou qui ont cessé d’exister. L’apprentissage des enfans pauvres est tout autre chose en Angleterre. Lorsqu’une famille a le malheur de tomber dans la détresse et de s’inscrire sur la liste des secours, les gardiens de la paroisse peuvent enlever aux parens leurs enfans dès l’âge de neuf ans, sans consulter l’inclination des uns ni des autres. La séparation s’accomplit en vertu de la loi, et par une décision qui est sans appel. La puissance paternelle, cette autorité d’institution divine, cette base de la famille et de la société, est entièrement supprimée. À partir de la mise en apprentissage jusqu’à la majorité de l’enfant, le père n’a plus de juridiction sur lui ; tout lien, souvent même toute relation est