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bonheur aux économistes, et les économistes répondent tantôt par le chiffre de la population, comme si les hommes n’étaient que des instrumens de travail, tantôt par le chiffre des classes aisées, comme si les malheureux ne devaient pas compter. — Il s’adresse aux politiques, qui veulent gouverner les intérêts par les intérêts, et il n’a pas de peine à démontrer le vice de ce système. En effet, maintenir l’équilibre des partis, ce n’est qu’entretenir la guerre ; les dominer les uns par les autres, c’est établir la tyrannie des majorités, et dans les deux cas la société souffre. — Il est des politiques qui proposent le partage des biens : nouvelle erreur. Le partage, le nivellement, même la taxe des pauvres, sont des spoliations injustes, car on ne saurait imposer la charité par des lois ; la transformer en obligation légale, c’est tuer la vertu et accorder à tous le droit de révolte, de guerre et de pillage, chacun étant juge de ses besoins et tous se trouvant autorisés à appuyer le droit par la force. — La théorie du mouvement est jugée avec plus de sévérité encore. Cette théorie se fonde sur l’hypothèse d’un progrès irrésistible, hypothèse détruite par les faits, par la corruption naturelle des masses, et par la conscience de notre liberté. Le but de la théorie est de distribuer les richesses au plus grand nombre, et de grandes richesses concentrées sont préférables à une demi-pauvreté universelle. Pour augmenter l’activité, la théorie du mouvement augmente les besoins, et elle ne réussit qu’à tourmenter les peuples qu’elle veut satisfaire. Elle se propose de niveler toutes les classes, elle attaque les gouvernemens monarchiques, les hiérarchies, et l’activité indéfinie, l’immense ambition qu’elle excite, exigent, pour se satisfaire, une hiérarchie très développée. Elle attaque le pouvoir, et le principe tout égoïste de la concurrence engage le pouvoir à abuser de ses droits, à jouir de ces places que tout le monde voudrait lui arracher. Enfin elle veut soulager toutes les misères, et la concurrence ne profite qu’aux plus riches, aux plus habiles ; partout elle livre le plus faible à la merci du plus fort. Ainsi cette concurrence moderne est une agitation douloureuse et inutile, un déplacement d’hommes et de choses, une exaltation fiévreuse de tous les désirs, de toutes les ambitions, un mouvement sans but, sans motif et sans issue.

Les gouvernemens effrayés se sont empressés de combattre cette activité irréfléchie ; ils ont mis en pratique la théorie de la résistance. M. Rosmini repousse cette théorie comme il a repoussé la première. Ce mot de résistance, dit-il, est âpre et hostile à l’humanité. D’ailleurs cet aveugle instinct de conservation, cette lutte folle contre un mouvement parfois légitime, contre la nature, contre Dieu même,