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souverain pontife, ses profondes convictions gouvernementales, sa haine pour les libéraux, son ardeur à combattre la révolution, tout contribua à lui obtenir des succès de sacristie et une certaine renommée dans le clergé. Ses attaques multipliées contre les théories révolutionnaires attirèrent bientôt sur lui l’attention d’un autre public. Bafoué par les libéraux, M. Rosmini ne recula pas et continua sa course. Il sut profiter à la fois des tendances spiritualistes réveillées par les nouvelles idées françaises et de la réaction catholique contre la démocratie de 1830. Tandis que sa philosophie triomphait peu à peu des répugnances libérales, sa foi lui ouvrait les écoles du Piémont et presque tous les séminaires de la Haute-Italie. Inflexible à la fois comme prêtre et comme penseur, le chef de l’ordre de la charité chrétienne ne voulut renoncer ni à la manie d’attaquer les libéraux ni aux conséquences hardies de sa philosophie. C’est ainsi qu’il se créa de vive force de nouveaux ennemis dans l’opinion libérale et chez les partisans de l’ordre de Jésus. M. Rosmini lutta contre tous : aux uns, il répondait par de gros volumes ; aux autres, par des articles ; un jour, on le vit adresser à je ne sais quelle gazette des lettres pour démontrer : 1° qu’il n’était pas fripon, 2° qu’il n’était pas ignorant. Rien de remarquable dans ces polémiques minutieuses et envenimées, si ce n’est qu’elles s’expliquent par la situation de l’Italie. Là tout se complique, la politique comme les institutions, les traditions comme la langue, et la lutte des tendances contraires, entretenue par les rivalités personnelles, par les jalousies, se poursuit, éclate avec d’autant plus d’ardeur dans les polémiques scientifiques et littéraires, qu’elle ne peut éclater sur le terrain politique. Pour dominer cette lutte, pour surmonter tous les obstacles, pour prévenir les dissidences, il faut analyser dans ses moindres détails l’idée qu’on veut faire pénétrer en des esprits aussi diversement disposés ; il faut la présenter sous toutes ses faces, l’expliquer dans toutes ses conséquences, la joindre à toutes les traditions. De là les livres de Filangeri si prolixes, l’allure agressive et triviale de Gioja, le caractère à la fois technique et abstrait du style de Romagnosi. La langue souffre nécessairement d’une telle complication, et les écrivains doivent renoncer à l’élégance, s’ils veulent instruire. M. Rosmini semble avoir étudié le style philosophique dans la Somme de saint Thomas, et c’est à force d’analyse, de distinctions, c’est par une scolastique étrange, mais irrésistible, par des polémiques verbeuses, excentriques, mais utiles, qu’il veut maintenir sa supériorité devant les théologiens et les patriotes. Son système nous présente comme une casuistique appliquée à toutes les questions de la science, comme