Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/759

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France une position tout exceptionnelle, car sa renonciation à la souveraineté de ce pays a été implicitement mise au prix du paiement d’une indemnité de 60 millions, dont la plus faible partie a été soldée jusqu’à ce jour. Ce qui se passe à Haïti est encore trop mal connu pour qu’il soit possible de présenter dès aujourd’hui des idées nettes et précises sur la situation qui conviendrait à la France ; mais c’est une question sur laquelle il importe d’appeler souvent l’attention de la chambre et du pays. Un seul point est dès ce moment hors de doute, c’est que la France ne saurait, sans se déshonorer, permettre à une autre puissance ce qu’elle s’interdirait à elle-même sur une terre si long-temps française, et qui serait peut-être heureuse de le redevenir encore.

La France n’est intervenue à Haïti, dans la personne de son consul, que pour accomplir de grands devoirs d’humanité. M. Juchereau de Saint-Denis a fait là ce que M. de Lesseps a fait à Barcelone, et la reconnaissance publique lui en tiendra compte. Le bruit se répand cependant que le contre-amiral de Moges, commandant la station des Antilles, supplié par la population de donner à ce pays le signe d’une protection plus efficace et visible, aurait été amené à couvrir du drapeau français cette ancienne possession de la France. Ce bruit a besoin de confirmation ; mais on juge de l’inquiétude du ministère, contraint d’avoir peut-être à recommencer aux Antilles la crise encore ouverte en Océanie. Cet incident peut fournir un épisode inattendu au prochain débat politique.

Si la mésaventure de l’Océanie a sevré d’ambition conquérante le cabinet français, le ministère de sir Robert Peel a lui-même trop d’embarras pour être tenté de se jeter en ce moment dans les aventures, et de se faire une querelle avec nous et avec les États-Unis à propos de Saint-Domingue. La discussion du bill des manufactures est reprise aux communes, et s’il n’est pas douteux que le chiffre de douze heures fixé par le projet ministériel comme la mesure légale de la journée de travail ne soit adopté, le cabinet anglais sait quels efforts lui aura coûtés cette victoire, et au prix de quelles perplexités il l’aura achetée. Si la majorité fait violence sur ce point à ses propres sentimens, si elle recule devant la question de cabinet nettement et hardiment posée dans le cours de ce débat, c’est qu’il n’y a pas, dans le parti conservateur, d’élémens possibles pour une autre administration. Relever le ministère composé de lord John Russell et de lord Palmerston est une extrémité à laquelle ne sont pas encore arrivés les tories philanthropes qui suivent la bannière de lord Ashley et les amis de la haute église qui marchent sous celle du dévot représentant de l’université d’Oxford.

Les sommités du parti whig, telles que lord Russell, lord Howick, sir G. Grey et M. Charles Buller, ont profité avec une grande habileté de la question qui venait rompre le faisceau des forces conservatrices. En votant avec lord Ashley pour la clause de dix heures, ils croient rendre inévitable une modification profonde dans les lois céréales. Le bon sens indique, en effet,