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plus d’une cour, celui de supprimer tous les ordres religieux. Si vous voulez les sauver, ne confondez pas leur cause avec celle des jésuites. — Ah ! reprenait Ganganelli, je le vois depuis long-temps, c’est là qu’on en veut venir ! On prétend plus encore : la ruine de la religion catholique, le schisme, l’hérésie peut-être, voilà la secrète pensée des princes ! » Après avoir laissé échapper ces plaintes douloureuses, il essayait sur Florida Blanca la séduction d’une confidence amicale et d’une douce naïveté. L’objet de tant de soins y résistait avec une inflexibilité stoïque. Forcé de renoncer à cette ressource, Clément cherchait à éveiller la pitié de son juge ; il parlait de sa santé, et l’Espagnol laissait percer une incrédulité si désespérante, que le malheureux Ganganelli, rejetant en arrière une partie de ses vêtemens, lui montra un jour ses bras nus couverts d’une éruption dartreuse. Tels étaient les moyens employés par le pape pour fléchir l’agent de Charles III. C’est ainsi qu’il lui demandait la vie[1].

Cependant, au milieu d’un abaissement si profond. Clément XIV retrouvait par accès la dignité d’un pontife et d’un prince. Un jour, Florida Blanca appuya ses instances d’un argument intéressé, il garantit au pape la restitution d’Avignon et de Bénévent aussitôt après la promulgation du bref ; mais le vicaire de celui qui chassa les vendeurs du temple lui répondit avec un courage très noble : « Apprenez qu’un pape dirige les ames et n’en trafique pas. » Après ces mots, il rompit la conférence, et se retira indigné. Rentré dans ses appartemens, sa douleur s’échappa en sanglots, et il s’écria : « Dieu le pardonne au roi catholique ! »

Mais l’heure était sonnée ; plus de délais possibles, plus de promesses acceptables. Vainement les jésuites recommencèrent à semer la terreur ; la fantasmagorie des prophétesses eut beau renouveler ses prestiges : il fallait que Ganganelli cédât. Pourtant une faible lueur d’espoir lui restait encore : la cour de Vienne s’opposerait peut-être à la destruction de la société ? Elle envoya son consentement. Cette négociation est racontée de plusieurs manières différentes. Selon le récit le plus accrédité, le roi d’Espagne dissipa la confiance que portait Marie-Thérèse aux révérends pères, en lui faisant parvenir sa confession générale transmise par son directeur à la société. Cette version est invraisemblable ; il y a pourtant un fait positif : on ne peut révoquer en doute les instances de Charles III auprès de l’impératrice-reine

  1. Moniño à Grimaldi, 16 juillet 1772.