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musulmanes qui les entourent et les étouffent, du Xenil à l’Èbre, de l’Arga au Guadalquivir. Le moyen qu’ils comprennent la civilisation des Arabes, s’ils la présentent comme un fait anormal et violent qu’il importe à la civilisation générale de contrarier et de détruire ! M. Moron ne se flatte pas cependant d’avoir décrit cette civilisation dans ses développemens gigantesques. C’est là une tâche que pas un écrivain dans la Péninsule, ni par conséquent dans l’Europe entière, n’est aujourd’hui en mesure d’entreprendre. Le jeune historien ne se fait point illusion, et il indique lui-même sans le moindre détour les problèmes qu’il n’a pu résoudre, les obstacles qu’il n’a pu tourner.

L’ouvrage de M. Moron n’embrasse point, comme celui de M. Tapia, l’histoire nationale tout entière ; il s’arrête à la fin du XIe siècle, à l’époque où se constituent les cinq ou six états chrétiens renaissans. Ici, M. Moron croit devoir prendre le ton de l’histoire proprement dite ; il se hâte un peu trop, selon nous. Ce n’est point que l’on ait jusqu’à ce jour manqué de manuscrits et de chroniques sur cette époque, tout au contraire, il s’en est depuis trois siècles recueilli un très grand nombre que l’on n’a pas encore suffisamment appréciés à leur juste valeur. M. Moron comprend bien lui-même qu’une histoire d’Espagne complète est au-dessus des forces d’un seul homme, et la preuve, c’est que, dans une série d’articles où il traite les questions actuelles, mais en remontant à leur origine, il n’aborde de cette histoire que les points maintenant accessibles, en législation, en administration, en économie politique. Ces articles ont paru en deux ans, à dater de 1841, dans la Revista de España y del Estranjero, sous le titre de Reseña politica y literaria de España ; ils pourraient, à notre avis, former un bon livre qui aurait pour titre général : Des Fautes et des malheurs qui ont précipité la ruine de l’Espagne, et des moyens de les réparer. — Le style de M. Moron est riche et orné, trop orné peut-être pour un historien et un publiciste ; mais comme en définitive sa narration est claire et attachante, et que sa manière de peindre accuse vigoureusement la physionomie de ses personnages, c’est là un défaut sur lequel nous ne voulons pas insister.

Parmi les jeunes écrivains qui demandent à la sérieuse culture des lettres et des sciences les moyens de réhabiliter le pays de Mariana et de Cervantes, don Salvador Bermudez de Castro s’est placé à l’un des premiers rangs par son essai historique sur Antonio Pérès (Estudios historicos sobre Antonio Pérès). Doué à la fois d’un esprit philosophique et d’une imagination brillante, M. Bermudez de Castro pouvait mieux que tout autre écarter les voiles derrière lesquels se dérobait à demi la mémoire de ce fameux secrétaire de Philippe II, élevé par son maître au plus haut degré de faveur, puis tout à coup renversé, condamné au dernier supplice, réduit à implorer un asile auprès des révoltés d’Aragon et à la cour de France, où l’oubli en fit justice bien mieux, assurément, que n’eussent pu faire les verdugos de l’inflexible roi castillan. Il n’y a pas eu de prince, dans la Péninsule, qui ait porté plus loin que Philippe II la splendeur de la monarchie espagnole ; il n’y en a pas eu qui, au dedans, ait tant fait contre les libertés