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précipita l’exécution pour se débarrasser d’un rival. Et voilà précisément la cause de sa disgrâce : Philippe II, si l’on s’en rapporte aux panégyristes, ne lui pardonna jamais de l’avoir entraîné à méconnaître les vieilles lois de la monarchie. C’était sans doute pour lui appliquer le talion, qui pourtant n’a jamais subsisté dans ces lois, que jusqu’au dernier instant il le traqua de royaume en royaume par ses espions et ses ambassadeurs,

M. Bermudez de Castro a eu d’abord à cœur, la première partie de son livre nous autorise à le croire, d’accomplir une réhabilitation si étrange ; mais les faits mieux établis, mieux compris, lui ayant pleinement livré le secret de la politique qui a fondé pour trois siècles le despotisme en Espagne, il rompt brusquement avec le paradoxe. La physionomie de Philippe II, il l’accepte comme se l’est donnée Philippe II lui-même par ses ruses machiavéliques et ses cruautés réfléchies ; les traits jusqu’ici demeurés dans l’ombre, il s’attache particulièrement à les mettre en relief. Mémoires et chroniques, M. Bermudez de Castro a tout épuisé : c’est une profusion de détails biographiques et de considérations piquantes qu’on pourrait présenter avec plus d’ordre, mais non certainement d’une plus ingénieuse façon. Et d’ailleurs, pour reproduire le XVIe siècle, tel que l’ont fait en Espagne les rois de race autrichienne, il n’est pas de cadre plus convenable que la vie de don Antonio Pérès. Mêlé aux intrigues d’une cour mystique et voluptueuse, ardent instigateur des entreprises royales contre les vieilles libertés péninsulaires et des révoltes suscitées par ces entreprises, le brillant secrétaire de Philippe II est le véritable Espagnol du XVIe siècle ; type de corruption, où pourtant se démêle quelquefois encore une certaine grandeur. L’Espagnol du XVIe siècle est entamé déjà profondément par les maximes des monarchies dissolues ; mais il n’a point pour cela dépouillé sans retour les mœurs et les vertus d’un autre âge. Dans les périls et les traverses, ce sont encore ces vertus qui lui viennent en aide, l’énergie indomptable tant que la lutte est possible, et, quand il faut céder, la résignation calme et fière qui pallie la défaite et laisse à douter, pour ainsi dire, que l’on soit tout-à-fait vaincu. Le style de M. Bermudez de Castro est animé, cadencé comme les plus belles périodes de Mariana, ce Tite-Live de l’Espagne ; s’il manque parfois de l’élévation qui est le vrai caractère de la langue castillane, il y supplée suffisamment çà et là par des traits vigoureux et d’un éclat imprévu.

L’Essai sur Antonio Pérès est une œuvre véritablement originale ; nous n’en voyons aucune, parmi nos livres d’histoire contemporains, avec laquelle il offre le moindre trait de ressemblance. Il n’en est pas de même du livre de M. Lafuente y Alcantara, qui, à presque toutes les pages, rappelle, pour le fond comme pour la forme, celui de M. de Barante. L’Histoire des ducs de Bourgogne contient les fastes de la plus brillante chevalerie française ; les plus beaux titres de la chevalerie espagnole se retrouvent dans l’Historia de Granada, Jaën, Alméria y Malaga. Le livre de M. Lafuente n’intéresse pas seulement le midi de l’Espagne ; les civilisations qui ont envahi la Péninsule avant toutes aspiré à s’épanouir sous le soleil des riches