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et non point comme une œuvre déjà terminée. M. le marquis de Miraflorès a fort bien montré comment, de règne en règne, l’Espagne a péniblement fondé son unité nationale, et c’est avec un véritable bonheur d’expressions et d’images qu’il a raconté les dernières luttes contre les musulmans ; mais nous ne comprendrions pas que M. le marquis de Miraflorès se résignât à ne point franchir les extrêmes limites du XVe siècle : ce serait s’arrêter au moment où l’histoire de la Péninsule prend un nouveau et plus saisissant caractère. Quel autre écrivain que M. le marquis de Miraflorès, qui par devoir a scrupuleusement étudié toutes les traditions internationales, pourrait exposer d’une façon plus intéressante cette politique extérieure des successeurs d’Isabelle-la-Catholique, si fière à la fois et si souple, si curieusement entremêlée de guerres et d’intrigues ? Plus on y réfléchit et plus on se sent indigné que les princes de la dynastie autrichienne aient gâté comme à plaisir la fortune de l’Espagne. C’était bien la peine, vraiment, de se mêler aux misérables petites querelles de la Lombardie et des Deux-Siciles, de subordonner leurs royaumes à l’empire, de s’épuisera exploiter l’Amérique, à opprimer les Flandres, à fomenter en France conjurations et révoltes, guerres de religion, guerres civiles, ligues et frondes, mécontentemens princiers, contestations de régence ou de minorité ; c’était bien la peine de dépenser tant de force pour aboutir à un si complet abaissement !

Au demeurant, il n’est point en Espagne un écrivain de mérite qui ne se soit préoccupé des problèmes et des enseignemens de l’histoire. Nous avons sous les yeux la plupart des leçons prononcées à l’Athénée de Madrid par MM. Alcala-Galiano, Pidal, Donoso-Cortès, Seijas-Lozano, Mieg, Antonio Benavidès, et la collection à peu près complète des revues où, depuis 1833, se sont produits presque tous les talens de la Péninsule ; il n’est pas un seul professeur, un seul écrivain qui, agitant les problèmes de législation, d’administration, d’économie politique, n’ait eu pour sa part à débattre les questions historiques. Il n’a point surgi encore en définitive, et de long-temps, selon nous, il ne surgira, au-delà des monts, une théorie générale, embrassant tous les faits de l’histoire. Les uns et les autres ont plus ou moins discuté les systèmes qui, à dater du XVIe siècle, se sont tour à tour accrédités en Europe ; mais la plupart n’en ont fait qu’une étude superficielle, et nous doutons fort qu’ils les aient pleinement compris. M. Moron est le seul qui les ait approfondis, et l’on a vu que sa théorie reproduit assez fidèlement les idées de M. Guizot. À très peu d’exceptions près, les écrivains espagnols se renferment scrupuleusement dans leur histoire nationale. Au milieu des élémens jusqu’ici épars de cette histoire, l’esprit de système, dans sa rigueur absolue, serait pour eux un mauvais guide ; comment saisir l’ensemble des annales espagnoles, quand on a tant de chroniques à compulser, de sources à épuiser, quand il est encore si malaisé de se former une opinion bien nette et bien précise sur tout un monde d’épisodes et de détails ? Dans les investigations patientes qui ont pour objet les faits particuliers de chaque province et de chaque règne, les historiens actuels de l’Espagne se