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par l’aliénation des biens nationaux, dans le plus grand nombre des provinces par la vente à peu près consommée déjà des biens du clergé régulier, et, en général, dans la Péninsule entière par les progrès de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. En 1843, très peu de mois avant sa chute, le gouvernement d’Espartero avait bien vu qu’il fallait en finir avec une situation si déplorable ; le ministre de l’intérieur, M. Gomez de la Serna, fit proposer à M. Arago d’aller au-delà des monts constituer l’enseignement scientifique sur de solides bases et dans de larges proportions. Il est à regretter que les pronunciamientos de juin aient empêché M. Arago d’accepter une mission qui dans sa vie eût marqué honorablement. Le nouveau régime s’estimerait heureux, nous le croyons, que M. Arago voulût bien accepter une si grande tâche, et, en vérité, si le cabinet de Madrid cherchait à renouer la négociation, nous aurions peine à comprendre que ses avances fussent repoussées par M. Arago. Qu’importent les luttes et les querelles de parti, là où se trouve engagé le seul avenir de la science ?


III. — LEGISLATION, ADMINISTRATION, ECONOMIE POLITIQUE.

Pour donner une charte à l’Espagne, les cortès de Léon et de Cadix se bornèrent à nous emprunter quelques lambeaux des constitutions que nos assemblées législatives ont tour à tour votées à la fin du dernier siècle ; les hommes qui, en ce moment, gouvernent la Péninsule affirment au contraire que l’histoire nationale peut seule enfanter les institutions durables. Évidemment, sans être tout-à-fait en dehors de la vérité, les jeunes doctrinaires de 1844 se trompent, comme les révolutionnaires de 1808. Sans aucun doute, à mesure qu’ils réorganisent la société espagnole, ils agissent fort sagement en composant avec ses antiques habitudes ; mais les vieilles lois d’Aragon, de Castille, de Navarre, de Catalogne, ces bizarres coutumes où foisonnent les contradictions et les inconséquences, renferment-elles donc toutes les idées, tous les principes qui doivent présider à l’œuvre immense de la réorganisation sociale. ? L’Europe tourne avec plus de sollicitude que jamais ses regards vers la Péninsule ; plus que jamais elle se préoccupe des obstacles qui, chez nos voisins, peuvent s’opposer aux développemens du régime constitutionnel. Pour démontrer qu’il est possible d’y appliquer ce régime, il suffirait d’analyser le caractère espagnol ; on y trouverait, à un degré remarquable, les qualités et les mobiles qui parmi nous font la force des lois nouvelles ; si on étudiait attentivement ses défauts, on ne tarderait pas à découvrir qu’ils proviennent pour la plupart de l’abattement douloureux où tombe toute nation, quand elle s’aperçoit qu’il ne lui a servi de rien d’avoir été pendant des siècles patiente, résignée, courageuse. Quelle énergie stoïque il a fallu à ce peuple pour ne pas mourir du despotisme de ses rois et de ses moines, du désordre de ses finances et de son administration ! Il ne faut pas s’exagérer les périls de la situation actuelle : tout, il est vrai, se présente à l’état de