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les excès et les abus de l’ancien régime ; dans les chaires de l’Athénée et des lycées, dans les journaux, dans les revues, et surtout dans la Revista de España y del Estranjero, qui est en ce moment le plus sérieux organe des intérêts publics au-delà des Pyrénées, tous les hommes d’autorité dont nous avons eu occasion de citer les noms, MM. Pidal, Alcala-Galiano, Moron, Posada-Herrera, etc., ont débattu longuement tout ce qui a le moindre rapport à la réorganisation de la Péninsule. Enfin, il y a quelques jours à peine, un écrivain qui, à Paris même, avait pris rang parmi les économistes, don Ramon de la Sagra, vient de fonder à Madrid une Revue des intérêts matériels et moraux (Revista de los intereses materiales y morales), dont les quatre premières livraisons nous sont déjà parvenues. Malheureusement, M. de la Sagra se croit obligé sans doute d’apprendre à l’Espagne toutes les belles théories générales qu’il a importées de France et d’Angleterre, et à la manière dont il a commencé sa tâche, nous ne voyons pas qu’il puisse de si tôt traiter des vrais besoins de son pays.

Nous devons le dire : les publicistes de l’Espagne n’ont pas encore renoncé à ces éternelles abstractions de métaphysique sociale qui encombrent tous les livres de législation et de droit public, tous les essais d’économie politique antérieurs à 1840. Avant d’entrer en matière, chacun se croit obligé de faire l’histoire du sujet dont il s’occupe, de réviser les systèmes que ce sujet a suscités dans les temps modernes, de se rattacher à une des écoles qui l’ont débattu. MM. Posada-Herrera et Donoso-Cortès se proclament les disciples de Montesquieu ; M. Seijas-Lozano se rattache à Bentham, M. Valle il Adam Smith, M. Pacheco à M. Rossi, M. de la Serna à M. de Gérando. Le tribut de l’admiration bruyamment décerné aux maîtres, ils ne manquent jamais de fraterniser avec les disciples, celui-ci avec MM. de Beaumont et de Tocqueville, celui-là avec M. Michel Chevalier, tel autre avec M. Comte ou M. Blanqui, et de proche en proche avec de simples jurisconsultes fort estimables sans aucun doute, mais qui de leur vie ne se sont inquiétés de la philosophie du droit, de la législation, de l’histoire, avec M. Macarel ou M. Boulatignier. Il en est au-delà des monts de nos économistes comme de nos poètes : ce ne sont pas toujours MM. de Chateaubriand, Hugo, de Lamartine, qui, dans la Péninsule, soulèvent le plus d’enthousiasme, et l’on fierait fort surpris des noms que bien souvent on y place tout à côté de ceux-là. Don Joaquin Abreu, de Cadix, et don Nicomedes Pastor-Diaz sont les seuls qui, dans la catholique Espagne, aient osé discuter à fond les principes de Saint-Simon et de Fourier ; nous devons ajouter que MM. Diaz et Abreu sont parvenus à dégager assez nettement les doctrines sérieuses de ces socialistes des formules bizarres où ils se sont complu à les envelopper.

Ce ne sont là, du reste, que de véritables hors-d’œuvre ; une fois que les publicistes espagnols ont pénétré au cœur du sujet, adieu les belles théories et les formules générales ! Le temps est trop précieux et les besoins du pays trop nombreux, trop urgens, pour qu’il y ait place aux grandes discussions de principes. Qu’a-t-on à faire, par exemple, des contestations interminables