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qui s’élèvent encore entre les disciples de Ricardo et de Malthus, sur les produits de la terre ou de l’industrie, sur le crédit public, le travail et les capitaux, dans un pays où il s’agit d’augmenter à la fois les produits de l’industrie et de la terre, et non-seulement d’organiser le travail, mais de le créer, pour ainsi dire, en même temps que le crédit public et les capitaux ? Comme les économistes de la France et de l’Angleterre, les économistes actuels de l’Espagne se détachent donc peu à peu des théories ambitieuses qui aux simples inductions du bon sens pratique ne substituent guère que des abstractions et des syllogismes, pour s’en tenir à la méthode expérimentale indiquée par Bacon et perfectionnée par Galilée, Newton, Turgot, Adam Smith. C’est sur ce terrain que pourront se rencontrer et s’entendre les meilleurs esprits de la Péninsule, jusqu’ici divisés non par des idées, mais par des passions. Déjà maintenant, si l’on met à part les questions purement politiques, et, dans l’ordre judiciaire, l’institution du jury, qui touche de si près à l’ordre politique, modérés et progressistes pensent absolument de la même façon sur toutes les questions d’administration, de commerce et d’industrie.

Dans un pays où il faut tout refondre et où rien de ce qui est maintenant debout ne fait la moindre résistance, il n’y a pas deux manières de renouveler ou de réformer l’organisation sociale, et nous ne comprenons pas que pour procéder à une œuvre pareille, MM. Pacheco, Posada-Herrera, Moron, Alejandro Olivan, Donoso-Cortès, et tous les jeunes écrivains naguère groupés autour de M. Bravo, aient cru un seul instant devoir se placer en dehors du régime constitutionnel. Par leurs livres et par leurs brochures, il est fort aisé de prouver que la pratique de ce régime ne se hérisse point en Espagne de toutes les difficultés et de tous les périls dont ils semblent prendre plaisir à s’effrayer. L’Espagne de 1844 est, sous ce rapport, dans des conditions meilleures que la France de 1789. Les réformateurs de 1789 avaient à combattre deux ordres puissans, le clergé et la noblesse, qui, par l’autorité de la religion et par celle de l’histoire, par tous les moyens que peut donner une admirable organisation spéciale, repoussaient énergiquement tous les plans de régénération. En est-il de même au-delà des Pyrénées ? N’est-il pas avéré jusqu’au dernier degré d’évidence qu’en Espagne, l’immense majorité des membres du clergé et de la noblesse est disposée aujourd’hui à seconder toutes les tentatives de réforme ? N’est-il pas certain que la minorité mécontente, réduite à la plus complète impuissance, comprendra bientôt que ce qu’elle a de mieux à faire, c’est de s’y associer pleinement ?

Et d’abord, M. Gonzalo Moron ne comprend pas qu’en Europe, — nous employons ses expressions propres, — on se soit fait un épouvantail de la noblesse espagnole ; dans son Historia de la Civilizacion de España, dans ses nombreux essais sur l’ancienne administration de la Péninsule, M. Moron lui-même se complaît à montrer l’élément municipal éclipsant tout et dominant tout, jusqu’à l’avènement de la dynastie autrichienne, noblesse, clergé, royauté. Opposées par nos rois aux seigneuries indépendantes, les communes