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essayé de faire son profit de leur abaissement. Ce n’est point en pratiquant une politique si égoïste, qu’il eût acquis la popularité dont il jouit à l’heure même où nous sommes. Comme le reste de la nation, le clergé a conservé le souvenir des temps qui ont précédé l’avènement de la dynastie autrichienne : en faut-il davantage pour que le despotisme lui soit odieux ? Qu’on ne s’étonne donc plus qu’en 1808, en 1820, en 1844, les principaux archevêques, tous les évêques, tous les curés, tous les chanoines, un très petit nombre excepté, aient pris parti contre l’absolutisme, du moment où il leur a été permis de lever un drapeau. Ils sont presque les seuls en Europe des hommes de leur ordre qui aient fait servir leurs richesses aux intérêts généraux ; l’Espagne leur doit tous ses monumens d’utilité publique, ses ponts, ses aqueducs, ses routes, ses canaux, ses fontaines : comment auraient-ils dans ces derniers temps repoussé un ordre social fondé sur le droit commun ?

Il ne reste plus vestige en ce moment des mésintelligences qui sous Espartero avaient éclaté entre le gouvernement de la reine et le saint-siège ; le chef politique de Madrid, don Antonio Benavidès, a récemment présidé lui-même à la réinstallation du tribunal de la rote : tous les malentendus, toutes les récriminations ont cessé. Quelques journaux de France et d’Angleterre se sont alarmés de la restauration de ce tribunal ecclésiastique ; il s’en est fallu de fort peu qu’ils n’y aient vu le prélude de l’établissement de l’inquisition. C’est là une question qui dans la Péninsule soulève un intérêt immense, et M. Romo l’a posée de manière à dissiper toutes les craintes. Sous Innocent III, le pape seul gouvernait l’Espagne, le pape seul réglait les affaires ecclésiastiques ; or, comme le clergé possédait les trois quarts du territoire, presque toutes les affaires aboutissaient à Rome, presque tout se tranchait au Vatican. Après bien des négociations, bien des luttes diplomatiques, Charles-Quint s’attribua le droit de présenter les évêques à la nomination du saint-siège, et l’on considéra comme une très grande faveur que sur tous les autres points cette exorbitante juridiction du pape consentît, pour ainsi dire, à se fixer en Espagne. Alors s’établit ce fameux tribunal de la rote dont tous les membres étaient nommés par le légat. Imbu des idées gallicanes, Philippe V le supprima dès les premiers jours de son règne : à force de brefs et d’encycliques, la cour de Rome détermina le petit-fils de Louis XIV à rapporter le décret d’abolition ; mais, à dater de cette époque, le tribunal de la rote ne fut plus admis à connaître que de certains cas de conscience et des difficultés qui peuvent s’élever sur les points de foi et sur les dogmes. Quelles appréhensions sérieuses pourrait-il aujourd’hui inspirer ?

Encouragés par les mésintelligences dont nous venons de parler, des méthodistes anglais se répandirent, il y a trois ans, dans la Péninsule, et s’efforcèrent d’exploiter les circonstances au profit du protestantisme. Ils ne parvinrent pas même à opérer une seule conversion, et c’est en pure perte qu’ils auraient fait le voyage, si l’un d’eux, M. le docteur Borrow, renonçant à sa mission évangélique, n’avait çà et là recueilli de précieux détails sur la vie