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En ce moment la lutte n’est plus, dans la Péninsule, entre les ordres ou les classes, mais entre les idées et les principes ; ce qu’il s’agit de prouver, c’est qu’en philosophie de même qu’en politique, le principe chrétien n’est point l’irréconciliable ennemi du principe de liberté. Il serait digne de M. Balmes de chercher à bien établir que, pour fonder le despotisme en Espagne, la maison d’Autriche a eu précisément à combattre les idées et les instincts catholiques. M. Balmes donnerait là un nouveau et très curieux développement à la thèse qu’il a soutenue contre le protestantisme ; sur ce terrain, nous le croyons, il ne serait pas le moins du monde contredit par l’histoire de son pays. Au XVIe siècle, l’Europe entière réagissait avec énergie contre les envahissemens de la puissance spirituelle ; mais la réaction ne tarda pas à devenir excessive. Au lieu de marquer les limites entre les deux domaines, la puissance temporelle empiétait à son tour sur la puissance spirituelle ; les papes ne dominaient plus les rois : c’était les rois qui se faisaient papes ; et quant à ceux qui n’osèrent s’arroger la suprématie religieuse, leurs ambitions, — du moment où le joug imposé aux royautés européennes par les Grégoire VII et les Innocent III cessa de se faire sentir, — s’exaltèrent au point de ne plus vouloir subir aucune autre entrave, ni de la part des peuples, ni de la part des ordres privilégiés. Alors a commencé l’ère de l’absolutisme pur, qui pour tant de pays dure encore. Peut-on nier qu’au XVIe siècle ce n’aient été là les dispositions de tous les princes d’Allemagne, des catholiques aussi bien que des protestans ? Peut-on nier qu’elles ne soient entrées en Espagne avec ceux de la maison de Hapsbourg ?

Comparez les actes de Charles-Quint et ceux de Henri VIII à l’époque où celui-ci méditait sa rupture avec l’église de Rome et jusqu’au moment où il l’a consommée : vous verrez que, dans les premiers temps, la politique de l’un est absolument la politique de l’autre à l’égard du clergé, de la noblesse, de la bourgeoisie, des communes ; même mépris des vieilles franchises et des lois fondamentales : — d’un côté, le conseil de Castille ; — de l’autre, la chambre étoilée. Un fait que nous empruntons à une chronique inédite de 1696 prouvera d’une façon péremptoire que le catholicisme espagnol refusait énergiquement de sanctionner les entreprises de la dynastie autrichienne. Un franciscain ayant prétendu, à San-Geronimo de Madrid, que le roi seul avait le dépôt de la puissance temporelle, l’auditoire entier s’indigna tout haut ; le prédicateur se vit obligé de quitter la chaire ; sa doctrine fut déférée aux universités de la Péninsule, si libres encore et si florissantes, et l’autorité ecclésiastique exigea qu’il rétractât ses paroles dans la chaire même où il les avait prononcées. Si plus tard la maison d’Autriche a été secondée par les ordres monastiques et par quelques membres du clergé séculier, qu’en peut-on inférer contre la religion elle-même. ? Pourquoi s’en prendre aux principes de la faiblesse ou de la corruption des hommes qui ont reçu mission de les défendre et de les faire triompher ?

Nous ne croyons donc pas que les penseurs de l’Espagne actuelle puissent être embarrassés de leur religion nationale ; ils ne seront pas contraints de