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Sous le titre général d’odes, épîtres, ballades, MM. Zorrilla, Ramon de Campoamor, Doncel, et tous les autres, ont publié déjà des recueils où çà et là éclatent les fiers accens de l’ancienne passion castillane. De jour en jour, le progrès se confirme et se développe : les revues et les journaux d’Espagne insèrent assez régulièrement des pièces de vers, presque aussi régulièrement que les nôtres des nouvelles et des romans. Dans les plus récentes poésies, nous nous complaisons à constater un ton plus ferme, une allure plus originale, une manière plus nette et plus sûre d’elle-même. C’est par là, du reste, qu’à Madrid et dans les provinces, ce que l’on pourrait appeler la littérature périodique mérite parfois de fixer l’attention de l’Europe ; en fait de romans et de nouvelles, journaux et revues le plus souvent se bornent à remplir leurs colonnes de contes français ou anglais, traduits à la hâte, du soir au lendemain, à mesure que les lambeaux divers leur arrivent de Londres ou de Paris. MM. Hartzembusch, Gil y Zarate, Garcia-Luna, etc., publient, il est vrai, de remarquables articles de critique littéraire ou philosophique, mais trop rarement pour qu’il en résulte un enseignement profitable. Sous peine d’être injuste, nous devons faire mention également des spirituelles esquisses du Panorama Matritense, por un curioso parlante (Panorama de Madrid, par un curieux babillard), de don Ramon Romanos de Mesonero. M. Romanos de Mesonero continue dignement à bien des égards l’ingénieuse et piquante satire qui, de 1834 à 1838, valut à Larra une renommée populaire ; il s’en faut de beaucoup, par malheur, que l’infortuné poète dont la vie et la mort rappellent à la fois le plus railleur et le plus sceptique des héros de Byron et le plus rêveur, le plus mélancolique des héros de Goethe, ait légué À M. Romanos sa verve agressive et son sarcasme véhément. M. Romanos est un homme d’esprit et de bon sens, mais d’un bon sens un peu trop bourgeois, si l’on nous permet d’employer cette expression, et qui ne ressemble point autant qu’on le pourrait désirer à celui de Quevedo et de Cervantès. L’auteur du Curioso parlante est le pamphlétaire des classes moyennes qui aujourd’hui se forment dans la Péninsule ; M. Romanos est à Larra ce que M. de Jouy est à Beaumarchais.

C’est au théâtre principalement que se produit chez nos voisins l’activité littéraire ; le théâtre actuel de l’Espagne est assez riche déjà pour mériter une étude spéciale et approfondie. Dans l’espace d’une année environ, du mois de mai 1843 à la fin de février 1844, on a représenté sur les scènes de la Cruz, del Circo et del Principe, plus de cent pièces, tragédies, drames, comédies, parmi lesquelles trente pour le moins sont originales, et se recommandent à quelque degré par les qualités diverses du style, de l’action et de la pensée ; et encore serait-il aisé d’en citer qui renferment des beautés de premier ordre, celles de MM. de Rivas, Gil y Zarate, Zorrilla, Hartzembusch, Breton de los Herreros, que suivent de près MM. Guttierez, Doncel, Valladarès, Rubi, Asquerino. Pour traiter convenablement de la situation présente du théâtre à Madrid, il est tout-à-fait indispensable de remonter aux époques les plus brillantes ou les plus agitées de l’histoire,